La célébration de l’Armistice du 11 novembre 1918 est l’occasion de se pencher sur ce que fut la Grande Guerre à Roncq (Nord) ville voisine d’Halluin, et tout particulièrement la dernière année.
Quand le 1er janvier 1918, Félix Decottegnies écrit dans son « Journal d’un occupé roncquois » « Que l’année 1918 soit pour notre bonheur l’année de la délivrance » c’est le même vœu que formulent maître Duprez, notaire à Roncq et M. Désiré Leurent-Hassebrouck, maire de la commune, dans leur journal familial de l’époque. Le poids de la guerre se fait de plus en plus lourd. Nourriture, habillement, moyens de chauffage… Les Roncquois manquent de tout. Sans compter la difficulté des évacuations.
Evacuations
Ce sont un peu plus de 400 personnes qui sont évacuées en décembre 1917 dans les wagons à bestiaux où la litière gelée était restée. A l’arrivée en Belgique, deux enfants étaient morts de froid, rappelait récemment une survivante de cette tragédie.
Les évacuations des « bouches inutiles » pour les Allemands se poursuivront jusqu’à la fin de l’occupation. Pour janvier, on parle d’un départ de 1100 à 1200 Roncquois.
Réquisitions
L’Allemagne manque de matières premières et récupère tout ce qu’elle peut dans les pays envahis. Il faut déclarer et livrer ânes, mulets, matériel de literie. Tout le matériel de la brasserie Torris est réquisitionné, cette dernière devient un casernement.
Une fois les métiers démolis dans les filatures et tissages Leurent Frères, on peut loger la troupe. Les bâches et les toiles diverses servent de protection. On réquisitionne aussi la laine des matelas, et même les déchets servant aux coussins et aux oreillers (et attention, on vient vérifier dans les maisons !), toute la récolte de rhubarbe, de fruits, de baies, de noix, de plantes médicinales, de tabac (même familiale), les courroies de cuir, les roues avec des garnitures de caoutchouc, le cuivre, les cloches et clochettes… Les Roncquois se disent que l’Allemagne est à bout.
Le scandale du service de ravitaillement
Roncq n’avait vraiment pas besoin, en plus de la pénurie de vivres, d’une triste et regrettable affaire qui éclate fin janvier. Des employés du service de ravitaillement sont mis en prison pour vol, ce qui entraîne une grande effervescence dans la population début février.
Le 15 février, la pression n’est pas retombée et l’on fait circuler une pétition réclamant une enquête du comité supérieur. Le conseil municipal qui appuie le comité local demande également une enquête. « Le moment est mal choisi pour chercher à diviser la population » écrit un Roncquois le 16 avril.
Le service du ravitaillement s’installe alors au patronage de la rue de La Latte (le Cercle paroissial d’aujourd’hui) ; les locaux Vienne et Bonduel où il se trouvait sont transformés en lazaret (hôpital). Fin avril, il y a encore des discussions entre la police et le comité de ravitaillement.
Offensives allemandes
Depuis fin janvier, les habitants pressentent qu’il y aura une offensive allemande. Début avril, Roncq est remplie de soldats.
Les Allemands ont lancé une offensive victorieuse entre Arras et La Fère, et l’on parle d’une autre offensive vers Arras, Armentières et Ypres. Le 15 avril, on dit qu’Armentières est pris, que 4 à 5000 Allemands entrés trop vite dans la ville sont morts.
Par ailleurs, depuis début avril, la bataille pour le mont Kemmel fait rage. De nombreux blessés arrivent dans le lazaret de Roncq. Les Allemands ont perdu au moins 50 % de leur effectif disent-ils. Et sur 700 partis du Blanc-Four, il n’en reste que 100. Le Kaiser passe à Roncq le 25 avril pour aller encourager ses troupes à prendre le mont kemmel.
Un Allemand confie à un Roncquois : « nous sommes déjà montés 13 fois à l’assaut dont trois fois sur la même journée. C’est pire qu’à Verdun ou dans la Somme où je suis allé. En face, c’est couvert de cadavres ».
L’ossuaire en haut du mont en témoigne aujourd’hui. Finalement, Portugais et Britanniques cèdent sous le nombre et la supériorité de feu, mais deux ou trois jours après, les Français reprendront le Kemmel.
Dans les prisonniers faits par les Allemands se trouve un Roncquois Joseph Deltour. Des femmes des environs retrouvent leur mari prisonnier, dont elles étaient restées sans nouvelles depuis plus de trois ans. Le Kaiser repart, le mont Kemmel et Ypres restent aux mains des Alliés. Les Allemands sont stoppés dans leur offensive vers la Marne et Paris, les Alliés reprennent le terrain et l’espoir revient au cœur des Roncquois.
Les obus tombent sur Roncq – Offensives alliées.
Français et Alliés reprennent l’avantage. Pour la première fois le 20 août, des prisonniers américains passent à Roncq. Les Alliés ont repris Merville et sont près d’Armentières. On entend constamment la canonnade et fin septembre des obus tombent sur le Blaton, à Linselles et sur Bousbecque, tandis que des bombes sont larguées par avion. Les soldats des lazarets sont évacués à cause des bombardements.
Le 30 septembre, un avis tombe : tous les hommes de 14 à 50 ans doivent évacuer. Le 1er octobre, on commence les préparatifs d’évacuation générale avec baladeuses, voitures, brouettes, tombereaux etc. Des obus tombent rue Latérale, rue de la Vieille Cour. A partir du 2 octobre, c’est tous les jours que des obus tombent sur Roncq.
Le 14, il y a une terrible canonnade comme en 1915 pour l’attaque d’Ypres, au moins 120 obus s’abattent sur la ville. Il y a des tués et des blessés, civils et allemands. Ces derniers font alors sauter les machines et les générateurs des usines Leurent. Il ne reste plus que quelques Roncquois qui fuient. Le 16 octobre, le pont Clovis, rue de la Vieille Cour, saute.
La libération
Le 17 au matin, quelques soldats allemands traînent et pillent les maisons, avant de se dépêcher de partir. Et à 14 h, les premiers Anglais arrivent à la station de Roncq en criant « nous venons pour vous sauver ».
Un jeune soldat, voyant le curé Duflo, s’agenouille et lui baise la main. Tous les témoins de la scène embrassent le soldat. Les yeux sont embués de larmes. Apprenant qu’il y avait trois Uhlans auparavant aux Orions, un sous-officier, revolver à la main , part dans cette direction. On ne sait ce qu’il advint
Les Anglais passent la nuit à Roncq et très tôt partent pour Mouscron (B) où les Allemands tiennent encore. On apprendra le 22 que cette ville est délivrée, mais auparavant, les obus allemands tombés sur Roncq ont fait des victimes. Le 19 le premier soldat français est autorisé à venir voir sa mère. D’autres viendront dans les jours qui suivent, apportant souvent de tristes nouvelles pour plusieurs familles de Roncq.
Le 23 octobre, le service postal reprend. Des troupes britanniques passent sans cesse, on y voit des mulâtres et des noirs. De plus en plus, on parle de demande d’armistice par les ennemis. Le 10 novembre à 10 h du soir, on sonne la cloche de Saint-Piat.
La Bulgarie, La Turquie et l’Autriche acceptent l’armistice. Par leurs manifestations de joie, les Anglais tiennent la population éveillée. Le 11 novembre 1918 à 11 heures, Germaine Valentine, la seule cloche que les Allemands avaient laissé au clocher de Saint-Piat se mit à carillonner à toute volée, annonçant que la guerre était finie Et le même jour à 20 h 30, on sonne de nouveau la cloche de Saint-Piat…
(…) Mais le bonheur n’était pas au rendez-vous, ce 11 novembre, pour les mères, les épouses, les fiancées, les sœurs des 213 soldats qui ne reviendraient jamais de la guerre…
Il y a eu à Roncq 94 veuves de guerre. Certaines toutes jeunes, n’ayant vécu que quelques mois, voire quelques semaines de bonheur. D’autres plus âgées ayant plusieurs enfants. On a aussi compté 8 veuves de civils tués à Roncq. Et au total, ce sont 111 orphelins qui n’ont plus jamais revu leur papa.
Alors malgré la perspective de la Libération, de la fin des privations et du retour des prisonniers, le 11 novembre n’a pas été un jour de joie totale pour touts ces femmes.
Petit à petit, à la demande des familles, les corps des soldats ont été rapatriés. Pas tous car certains étaient disparus, enfouis ça et là dans les tranchées de la Somme, de Verdun ou d’ailleurs. La vie reprenait son cours. La plupart des veuves se sont remariées. Pas toutes cependant.
L’une d’elles, mariée au mois de juillet 1914 a perdu son mari en septembre. Elle attendait un bébé qui n’a pas vécu non plus. Elle est restée, jusqu’à sa mort, fidèle à son premier amour.
Pendant longtemps après la guerre, on a pu voir des femmes en noir se recueillir ou prier devant le monument aux morts, n’ayant pas de tombe à fleurir. Peut-être y avait-il parmi elles l’épouse ou la mère de Julien Callier qui est mort à Creil le 11 novembre 1918, des suites d’une maladie contactée en service, à 20 h 45, quelques heures après le cessez-le-feu.
Peut-être a-t-il pu savoir que la guerre était finie…
Epilogue : La vie reprend son cours
Le 2 décembre 1918, une mine à retardement explose sur la voie ferrée devant l’usine à gaz ; 46 jours après le départ des derniers Allemands !
Le roi d’Angleterre visite la région. Il passe à Roncq, le 8 décembre 1918 à 11 h 30, il est acclamé par ses troupes et la population.
Et la vie reprend son cours. On reconstruit et on remplace les métiers dans les usines, pour pouvoir reprendre le travail. Mais ce ne sera pas du jour au lendemain.
Les troupes britanniques quittent Roncq en y laissant dans le cimetière du Centre deux des leurs, un jeune de 18 ans, sergent, et un caporal de 28 ans. Non loin d’eux, le carré militaire contient les tombes de ceux dont les parents ont demandé le rapatriement, quand c’était possible. D’autres reposent dans la sépulture familiale. Ils sont morts pour Roncq.
Jacqueline et Julien, avec la rédaction de NE Nov.1998.
Merci aux descendants de Félix Decottignies, directeur de l’usine à gaz, d’Eugène Duprez, notaire, de Désiré Leurent-Hassebrouck, maire de Roncq, qui nous ont permis d’écrire ce chapitre de l’histoire de Roncq.
(Archives D.D., NE 1998).
