« Trajectoires et mémoires de femmes immigrées à Halluin », l'ouvrage sortira d'ici la fin d'année. À l'initiative de ce projet : Planet'Action. Sept femmes, de différentes origines, nées à l'étranger, partagent leur parcours. De là-bas à ici, et tout ce qui se vit entre les deux.
Aïcha allait entrer au CM2 quand elle est arrivée à Halluin. Quand elle fait le voyage depuis Casablanca (au Maroc) avec sa mère et sa fatrie, c'est pour rejoindre son père, venu travailler en France. « Voyager pour la première fois, avec notre mère, qui est illétrée, dans un pays qu'on ne connaît pas, c'est une expérience impressionnante, avec plein d'émotions : la joie, la peur, la tristesse de laisser la famille », raconte aujourd'hui Aïcha, 41 ans et mère de quatre enfants.
« Savoir comment nos parents sont arrivés en France »
De son côté Romualda est arrivée en 1992 depuis le Brésil. Elle avait 39 ans. « J'ai toujours aimé le français ». C'est par amour du pays, qu'elle arrive d'abord à Tourcoing. Comme Aïcha et Romualda, elles sont sept en tout à partager leur parcours dans l'ouvrage qui sortira à la fin de l'année : Trajectoires et mémoires de femmes immigrées à Halluin.
A l'initiative du projet, l'association Planet'Action. « Depuis 2005, l'association conduit un projet intitulé " Identité, mémoire et territoire " », explique Antoine Durafour, coordinateur de l'association et auteur de cet ouvrage sociologique. Déjà en 2007, un film avait été réalisé sur le parcours de quatre hommes d'origine marocaine.
Cette fois, l'immigration est abordée par le vécu des femmes. « Nous-mêmes, on cherche à savoir comment sont arrivés nos parents en France. Mais souvent, ils sont la pudeur de dire ce qui est arrivé de bon ou de mauvais, ils gardent leur mémoire », précise Mohamed Oulad Noussa, jeune président de Planet'Action (d'origine marocaine, né en France).
L'ouvrage est le fruit des entretiens d'une heure avec ces sept Halluinoises. Elles viennent du Brésil, du Maroc, d'Espagne, de Pologne, d'Algérie. Chacune évoque sa trajectoire. La vie au pays, avec l'image qu'elle se fait de la France. « On nous disait que c'était un paradis », dit Aïcha .Le voyage durant lequel, elles sont submergées d'émotions les plus diverses : entre espoir et déchirement.
L'arrivée se solde parfois par l'épreuve de la désillusion. « Là-bas, j'habitais dans une grande maison, entourée de nature... Mais ici c'est pas pareil, une petite maison, trop d'humidité, moins d'espace... », raconte Fatima, d'origine marocaine. L'intégration de la famille se fait progressivement souvent par le biais de la scolarisation. « Grâce à l'école, on a commencé à sortir un peu du quartier », se souvient Aïcha, qui aujourd'hui ne se voit plus retourner vivre au Maroc.
Ces sept portraits de femmes, d'ici et d'ailleurs. « L'ouvrage pourra servir d'outil pédagogique pour les établissements scolaires », souligne Antoine Durafour. L'association prépare également sur bases de ces témoignages, un bande dessinée qui pourrait sortir en 2010.
(Archives, N.E., 15/12/2009).
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Regards sur l’immigration
Dans le cadre du travail de mémoire organisé par l'association Planet'Action, une conférence débat était organisée avec le sociologue Bruno Laffort, spécialiste de l'immgration dans la région.
Le sociologue Bruno Laffort, spécialiste de l'immigration dans la région Nord-Pas-de-Calais était l'invité d'une conférence organisée par Planet'Action, une association qui se bat entre autre pour « capitaliser la mémoire », pour reprendre les termes de son président Mohamed Oulad Moussa. L'intervention du sociologue fait écho à la sortie du livre d'Antoine Durafour, coordinateur de l'association, Trajectoires et mémoires de femmes immigrées à Halluin.
« J'ai retrouvé dans ces témoignages de femmes, de nombreux thèmes évoqués par ceux que j'ai rencontrés dans le cadre de mes recherches », commente Bruno Laffort. Et de citer en exemple certaines difficultés rencontrées lors de leur arrivée, comme « la grisaille du Nord , « l'exiguïté de l'habitat », « la barrière de la langue ». Le sociologue évoque aussi le difficile travail sur soi pour aller à la rencontre des autres et l'importance de ce qu'il appelle les « passeurs de culture », tous ceux, amis, professeurs... qui leur apportent de l'aide dans leur intégration.
Bruno Laffort a aussi insisté sur les différentes périodes de l'immigration, très forte dans la région.Des Belges dans l'industrie textile au début du siècle, aux Polonais dans l'entre-deux-guerres dans les mines, puis celles des Italiens, Espagnols, Algériens ou Marocains jusque dans les années 70, on retrouve cette immigration de travail.
Loin des stéréotypes
« En 1974, c'est la fin de l'immigration de travail, explique Bruno Laffort. L'immigration vient alors du regroupement familial, des étudiants, des demandeurs d'asile ou des sans papiers ». C'est à partir de cette période-là que l'immigration « se féminise ». Et que l'idée du retour baisse progressivement. « On est vraiment très loin des stéréotypes », insiste-t-il.
La modernité et le développement des nouvelles technologies changent depuis quelques années le rapport à l'immigration et à sa terre d'origine
. « Avec internet, le téléphone ou encore les avions à bas coût, cela permet de garder un contact plus fort et de limiter le dépaysement ».
Le sociologue s'est dit prêt à rejoindre un groupe de travail pour réfléchir à un musée régional sur l'immigration. De toutes les immigrations. « Comment faire vivre une mémoire de l'immigration sans la figer ? », s'interroge-t-il.
(Archives, N.E., 22/3/2010).