Hervé Delcourt, 35 ans, porteur de journaux, nous emmène pour sa tournée. Au pas de course. Dur de me séparer de mon oreiller à 3 h du matin. La routine pour Hervé Delcourt, 35 ans, carrure de sportif et concentré de bonne humeur. « Vous avez vos baskets ? » me demande le gaillard remonté comme un coucou dopé à la vitamine C. Je me surprends bêtement à regarder mes pieds, des fois que je serais venue en pantoufle comme dans mes cauchemars ! Tout va bien. La nuit ronronne sous le grand ballet des étoiles. Il est 3 h 45 au dépôt de presse, route de Linselles.
Hervé fait partie des quinze colporteurs de presse qui déposent quotidiennement les journaux chez les abonnés de la Vallée de la Lys. Tous les matins, c'est le même rituel. Chacun guette l'arrivée des journaux.
Avec des yeux plus ou moins endormis. Le livreur qui vient de la Pilaterie, à Villeneuve d'Ascq, est attendu comme le messie. « S'il y a de la casse sur les rotatives, les journaux arrivent plus tard forcément et les clients n'aiment pas ça », explique Jérémy Delsalle, le dépositaire de presse.
En deux temps-trois mouvements, plus de 5 000 journaux, Nord éclair et Voix du Nord, chauds comme des croissants, sont répartis entre les porteurs. Chacun a sa place sur les tables et ses petites manies pour plier les journaux. Pas le temps de commenter l'actualité du jour.
La course contre la montre peut commencer pour Hervé : 300 journaux à livrer dans Roncq centre. « Habituellement, j'assure ma tournée en scooter, je vais beaucoup plus vite parce que je peux me faufiler partout. » 4 h 35, nous voilà partis. Hervé a son circuit bien rodé entre le centre et les Chats-Huants. Ce Tourquennois connaît Roncq comme sa poche. Il exerce l'activité de colporteur depuis deux ans et demi. « J'étais déménageur mais mon dos me faisait trop souffrir. »
Porteur de journaux... Un job solitaire. À quoi pense Hervé quand il arpente les rues endormies ? Allez savoir. Papa de cinq enfants, il est président du club de foot du Brun Pain. Et supporter de l'OM. La mascotte des footballeurs marseillais se trémousse sur le rétroviseur. La débâcle des Bleus lui a mis le coeur à l'envers : « C'est dommage pour l'image que ça donne aux jeunes. »
Son record : 160 canards à l'heure !
Hervé saute de sa voiture. Disparaît en petites foulées. Revient. Redémarre. S'arrête à nouveau. C'est comme ça tous les jours de l'année. Par tous les temps. « L'hiver, c'est très dur. Quand les routes sont gelées, il faut prendre son courage à deux mains. Mais on s'y fait. » La valse des boîtes aux lettres se poursuit. Des petites, des grandes, toutes différentes. On s'amuse à deviner des vies derrière chacune d'entre elles.
« J'ai appris que cette dame était tombée, je lui glisse son journal dans la poignée de sa porte, c'est plus facile pour elle... Ici, le monsieur a de la difficulté à marcher, je lui monte son journal. Quand je peux rendre service, je le fais. Il nous arrive d'être attendus avec le café mais on n'a pas le temps ! »
Il y a les bons jours et les mauvais : « Les gens attendent leur journal. C'est frappant. Quand ils ne l'ont pas à l'heure, ça rouspète... Ils ne comprennent pas toujours que le retard n'est pas de notre fait. Et puis on ne peut pas livrer tout le monde en même temps. J'essaie de commencer par ceux qui travaillent. » Bientôt 6 h. Direction les Chats-Huants. « Regardez ce magnifique lever de soleil. C'est ma récompense », sourit Hervé.
Son petit défi, c'est de terminer son portage pour 7 h.
Son record : 160 journaux en une heure ! Un vrai marathon pour cet homme qui, outre sa mémoire d'éléphant, est doué d'un redoutable sens de l'orientation. « Tout est sur mon petit calepin mais j'ai toutes les adresses en tête. Certains clients prennent le journal tous les jours, d'autres deux ou trois jours par semaine, il faut retenir... La hantise, c'est d'oublier quelqu'un », explique Hervé qui se fait parfois accompagner par sa fille. Justine, 11 ans, ne rechigne pas à se lever en même temps que son père. C'est du bonus pour sa tirelire. Le job d'Hervé ne s'arrête pas là. Il tient un livre de bord, assure les encaissements et démarche des clients potentiels.
Certains abonnés reçoivent leur journal à la volée. C'est le cas de David, employé aux espaces verts de la Ville, affairé depuis 5 h à l'arrosage des massifs : « On a notre petit code. Quand il n'est pas chez lui, je m'arrange pour lui déposer son journal en route. Cet homme, c'est mon baromètre. Il me dit toujours la météo et ne se trompe jamais. Je sais si je dois prévoir mon imper pour la tournée du lendemain. » Il est 7 h. La ville se réveille dans la langueur estivale. Les commerces ouvrent doucement leurs rideaux. Mission accomplie pour Hervé. Il peut enfin savourer son journal.
Vendeur-colporteur de presse : « Un métier difficile mais valorisant »
On recense environ 20 000 vendeurs-colporteurs de presse en France. Un métier ancien et au statut particulier. Cette activité s'exerce en nom propre et de façon indépendante pour le compte d'un dépositaire ou d'un éditeur.
Jérémy Delsalle, dépositaire de la presse quotidienne régionale à Halluin, travaille avec quinze colporteurs de presse. Ils rayonnent sur Halluin, Roncq, Comines, Linselles, Bousbecque et Wervicq-Sud pour un volume global de 5 000 à 6 000 journaux par jour.
L'activité constitue le plus souvent un complément de revenus mais peut aussi, pour des grosses tournées, assurer un salaire convenable. Les vendeurs-colporteurs perçoivent un intéressement d'environ 15 % sur le prix du journal. Les rémunérations peuvent varier de 300 à 1 500 E pour une mission à honorer sept jours sur sept et toute l'année.
Franck Vandorpe est colporteur, une activité qu'il cumule depuis un an avec son métier de chef-cuisinier dans un restaurant de Linselles : « J'ai ouvert une poissonnerie à Halluin il y a quelques années mais j'ai fait faillite, je dois rembourser mes dettes. Un beau jour, j'ai vu une annonce en lisant le journal, je me suis dit pourquoi pas proposer mes services. Je travaille 90 heures par semaine mais je n'ai pas le choix. Et puis l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, paraît-il ! » Priscille et Jacques Descheerver exercent depuis huit ans. En couple. À respectivement 55 et 62 ans, ils sillonnent les rues de Linselles dès potron-minet.
« Il y a une certaine part d'insécurité la nuit. C'est pour cela que nous avons choisi d'assumer cette tournée ensemble. On ne se marche pas sur les pieds pour autant », sourit Jacques en mari protecteur. À 27 ans, Maxime Guzik vient de Tourcoing chaque matin pour assurer sa tournée avant de commencer sa journée de travail. Dans la vie, ce Tourquennois est chef d'équipe dans une entreprise de couverture à Roncq.
« Ma compagne élève notre enfant, ce job est un complément. C'est sûr, je ne fais jamais la grasse matinée mais j'ai découvert un univers que je ne connaissais pas. C'est un boulot difficile mais valorisant. J'aime beaucoup le contact avec les lecteurs. » Chacun vit l'activité différemment mais tous partagent la même hantise : la panne de réveil.
Renseignements et candidatures : M. Delsalle, 822 route de Linselles, 59250 Halluin. Tél : 03.20.03.69.60 ou 06.30.03.33.76.
(Archives, N.E., 11/7/2010).