Ce mercredi 14 juillet 1954, à l’issue de la manifestation patriotique au monument aux Morts, à l’occasion de la fête nationale, les sociétés des anciens combattants des deux guerres et du groupe des mutilés furent escortées par les sociétés musicales, au Foyer de la Paix rue Emile Zola, où, à 11 h 45, devait se dérouler la cérémonie de la remise de la croix de chevalier de la Légion d’honneur à M. Henri-France Delafosse, président honoraire de l’Amicale des A.C. des deux guerres, et de la médaille militaire à MM Henri Deblauw et Henri Duhamel, anciens combattants de la guerre 1914-1918 et membres de l’association locale.
Cette cérémonie avait rassemblé, outre la famille des récipiendaires, de très nombreuses personnalités parmi lesquelles on pouvait noter la présence de :
MM.Maurice Toulemonde président de l’U.N.C. d’Halluin, Leurent vice-président de l’U.N.C. de Tourcoing, Joseph Declercq président des Mutilés de guerre, le docteur Louf président du Cercle des officiers, Victor Hottelaert et Alfred Maret présidents honoraire et actif de la Mutuelle des Sous-officiers ; Pierre Duquenne du Cercle des Sous-officiers, André Dumortier président du groupe des A.C.Belges, Albert Thaon président de la F.N.I de Menin et vice-président du W.O. d’Halluin ; M. l’abbé Dewaele chanoine, curé-doyen de Saint-Hilaire ;
MM. Auguste Scalbert directeur général de la banque du même nom, Sprimont adjudant de la gendarmerie, Jean Michel commissaire de Police, Jules Menet président des A.A.O., Adrien Demassiet président du Souvenir des Combattants, Antoine Delesalle président du groupe des Evadés et Passeurs, Edouard Lemaitre président des Prisonniers de guerre 1939-1945, Mme Degryse-Cracco présidente de l’Association des Veuves et Orphelins de guerre, le Très Cher Frère Eudoxie, officier de la Légion d’honneur, des Zouaves du Nord, ainsi que des délégations de la douane et de la police, etc…
L’ensemble de la cérémonie était harmonisée par la Concordia-Harmonie.
Sur la scène magnifique décorée par les drapeaux des sociétés locales, avaient pris place les nouveaux décorés entourés de MM. Albert Louf docteur en médecine, Maurice Toulemonde président de l’U.N.C., Joseph Declercq président du groupe des Mutilés.
Toute une vie au service du pays.
Parrain de M. Delafosse, M. le docteur Louf, dans son allocution (ci-dessous), rappela la carrière militaire du récipiendaire, qui, déjà titulaire des plus hautes distinctions pour un soldat, ancien zouave, eut au cours de la guerre 1914-1918, une conduite particulièrement admirable :
Mesdames, Messieurs,
Mes chers Camarades de la Grande guerre,
« Tout homme qui s’élève, élève le monde ».
Le 11 novembre 1938, à l’occasion de notre 20ème anniversaire, dans cette salle à laquelle nous restons attachés par tant de souvenirs, après avoir évoqué les dangers imminents de l’expression hitlérienne consignée dans le catéchisme de Mein Kampf, nous rendions alors – après avoir donné l’alarme – un fraternel hommage au digne successeur de Gaston Danset : Henri France Delafosse.
Les distinctions militaires qu’il porte, avions nous dit, drapent glorieusement sa poitrine mutilée. Ses stigmates de destruction bronchique par l’ypérite, chaque jour lui rappellent, et lui rappellerons, les horreurs d’un progressisme barbare, prélude des camps d’extermination.
Aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, alors que les chants de jeunesse hitlérienne se sont tus, que les Hommes du IIIe Reich ont pu, à nouveau, tresser une couronne de mort sur leur passage ; dans une atmosphère d’unanime résonance, vous vous êtes associés à la famille, à l’amicale des Zouaves, aux Camarades de combat du Caporal Delafosse, pour lui témoigner votre vénération, reconnaître d’admiration que la Nation voue à ses grands Français.
Ceux qui parmi vous aiment à se remémorer des évènements historiques et par dessus tout reconnaître la Vérité, trouveront ici, un témoignage de satisfaction.
Nous savons tous, que si la Médaille Militaire constitue la plus belle récompense pour le Soldat, la Légion d’Honneur pour l’Officier, le parachutage des deux revêt un Hommage suprême, réservé à ceux, qui par leur audace, leur foi indestructible, leur sacrifice volontaire, ont tout donné à la Patrie.
Mon cher Delafosse ; votre jour de gloire est arrivé. La Croix de la Légion d’Honneur qui vous est remise marque l’ultime sommet, le couronnement de vos belles pages d’histoire au service de la France.
S’il nous était donné de faire un ample récit de votre passé, nous l’accomplirions dans tous les domaines, avec une sorte de ferveur. Un tableau sommaire de vos activités militaires, et pour être complet : l’évocation des traits marquants de votre caractère, de certains exemples de votre vie nous suffira pour glorifier votre personnalité déjà bien connue.
Vous avez quitté Halluin le 27 Août 1914 à l’époque de la ruée allemande – La bataille de Dinant était achevée et les conquérants avaient franchi la Meuse le 26 pour tenter d’égorger Paris.
Le 10 Septembre, alors que nous étions accrochés dans les plaines de la Marne, vous preniez contact dans Alger la Blanche avec le corps d’élite des Zouaves, dont les hommes intrépides ont inscrits dans les cadres de l’Armée française les services les plus brillants.
La ligne de feu s’était dès l’automne cristallisée dans le cadre des barbelés et des tranchées. Tapis comme des taupes dans ce labyrinthe de boyaux et de sapes nous observions, silencieux le Molosse accroupi d’en face qui regardait alors la France de travers ses créneaux.
Les plaines du Nord, cependant, se prêtaient encore à l’activité débordante des uhlans et, dans ces heures tragiques, chacun s’interrogeait avec angoisse sur la menace d’un débordement. C’est dans cette course à la mer que le 15 janvier 1915 vous preniez le contact avec l’ennemi dans les marais de l’Yser.
L’histoire nous dira que le corps spécial des hommes à la chéchia, au symbolique pantalon garance, se retrouvera dans ces jours sombres et incertains, dignes émules des Diables bleus du commandant Driant, et plus tard des hommes des commandos ; de la mer du Nord à l’Alsace, les Diables rouges seront au premier plan pour les tâches audacieuses.
Dans les coups durs c’est votre silhouette que l’on rencontre ; mais hélas, l’esprit de sacrifice se paie cruellement : Au cours de l’héroïque bataille de Verdun, dans les sanglants combats de Cumières, dans la défense mémorable du Mort Homme, dans les corps à corps de la côte 304, vous étiez là.
Vous restez même l’un des huit survivants de la 4ème section de la 16ème Compagnie, section dont tous les membres sont cités collectivement à l’ordre de l’Armée.
Et vous participez plus tard à l’offensive de la Somme, dans les combats de Chaulnes et de Pressoire, à celle de Champagne : que ce soit à la Main de Massiges, Maison de Champagne, au mont Cornillet.
Puis, l’Armée allemande, ivre de ses exploits, dans une nouvelle marche sur Paris se heurte au Corps des Zouave en Forêt de Villers-Cotterets, face au village de Longpont, les expérimentateurs de la Science germanique inaugurent sur vos poitrines des méthodes nouvelles.
Votre courage surhumain demeure vain sur un terrain yperité. Il ne vous est plus possible de poursuivre le combat, et après avoir tant de fois vu rôder la mort, vous obtenez pour vos brûlures viscérales la réforme définitive de 50 %. La rançon de la Liberté s’achète à un tel prix.
Citation à l’ordre du Régiment, pour avoir entraîné crânement ses Hommes à l’attaque du 21 Octobre 1916, citation à l’ordre du Régiment pour votre rôle de liaison au cours des tirs de barrage à l’attaque du 20 Mai 1917, citation à l’ordre de l’Armée pour votre intoxication grave à votre poste de combat le 17 Juillet 1918, Médaille Militaire le 16 juin 1920.
Quelle belle brochette mon cher Ami, en tête de laquelle vient prendre place la Croix de la Légion d’Honneur. Le Colonel Canavy, votre ancien Commandant de Compagnie du 1er Zouaves de marche, aurait été fier de remplir la mission que m’a confiée le Grand Chancelier ; n’avait-il pas dans son rapport du 13 Décembre 1935, conclu en ces termes son appréciation sur votre croisade guerrière :
« La conduite pendant la guerre du Caporal Delafosse, représente à « mes yeux », un des plus nobles exemples de l’accomplissement du Devoir Militaire ».
La Campagne achevée, votre infirmité physique ne devait pas stériliser vos dons naturels. Vous ne sortiez pas d’un régiment de marche, pour vous complaire dans l’inertie, dans un égoïsme abject, a mesure que se déroule le voyage de votre vie, la position la plus noble reste la vôtre.
Et si, comme Pasteur, l’amour du travail avait en vous comme aiguillon, l’amour de la Patrie, nous sommes autorisés en feuilletant le recueil de votre passé, de souligner les traits essentiels de votre vie professionnelle, familial, sociale. Dans chacune de ces fonctions vous avez avec enthousiasme et conviction, pris conscience de la valeur de votre tâche pour rester indifférent à l’effort, guidé par le seul souci du bien public.
Dans le cadre professionnel, vous avez été appelé par la confiance de vos chefs, à des fonctions d’autorité pour lesquelles ils estimaient que vous étiez qualifié. Dieu sait, si votre situation pleine de responsabilités peut servir de ligne de mire de cible précise. Vous avez su néanmoins dégager votre personnalité par vos facultés créatrices, par votre jugement, votre habilité, votre fermeté et assez d’indépendance personnelle pour y rester fidèle.
Malgré votre santé précaire, vous avez honoré la famille, constitué sous votre toit, une cellule très importante, une place d’élite parmi les élites ? Vous aviez compris que la vie s’épanouit par la floraison de beaux enfants avec ses joies et ses tristesses, ses appréhensions et ses inquiétudes.
Votre rôle social, intimement lié à l’action morale, cachait dans votre esprit un intérêt national, le souci de son évolution, sur des objectifs limités, figurait dans votre programme.
Vous n’étiez pas l’Homme à vous endormir dans des formules périmées. Et, vous êtes resté le conseiller avisé de ceux qui vous approchaient, l’Homme dont on sollicite une opinion et qui souvent détermine la conviction.
Ne nous en apportiez-vous pas le témoignage à cette époque troublante de l’occupation, à celle de la libération, lorsque refusant la défaite nous nous retrouvions communément dans le Camp retranché de la Résistance d’inspiration Chrétienne.
C’est alors que guidé par de nobles sentiments patriotiques, alors que notre Société Française semblait en péril par quatre ans d’inertie, vous vous êtes acheminé par devoir vers le corps de la Politique.
Vous y avez goûté sans y avoir d’ailleurs consigné une part de fidélité sachant qu’en cette matière, si subtile et si ingrate, l’erreur suit la conviction comme son ombre.
Toutes vos étapes représentent, mon cher ami, un palmarès glorieux et votre récolte est en rapport avec vos semailles. Si vous pliant à une dure discipline, vous n’avez jamais cessé de travailler pour la grandeur du pays.
Aux heures sombres comme dans les évènements heureux, vous avez mené sans vanité une action spécifiquement française. Vous avez été le conseiller et le guide, l’ami et le confident, l’artisan sûr et laborieux de la Restauration Française.
Vous avez, sans pour semblants et sans astuces, élargi votre place et votre action dans le pays. A notre époque où les Hommes de caractère sont si rares, vous constituez dans la Nation une de ces particules solides si nécessaires à son fonctionnement. Et pour occuper un échelon modeste dans ses rouages, vous êtes demeuré grand dans vos aspirations.
Je suis heureux d’avoir exprimé publiquement avec toute l’ardeur de ma pensée, vos titres de noblesse, et je suis fier d’épingler la Croix sur une poitrine dans laquelle traîne des souvenirs d’horreur….
Sur les fonts baptismaux, mon cher Ami, vous avez été signé du nom de : France. C’était un présage. Vous n’avez pas défailli à votre destin, l’histoire le prouve puisque toute votre vie reste imprégnée de cette pensée sublime : France d’abord.
L’homme qui s’est élevé pour remplir cette mystique a gravi les routes fatigantes et périlleuses, du courage, de l’endurance et de la bravoure inscrits en lettre d’or sur la ferronnerie du Monument, élevé à la Mémoire de ceux que nous avons vu tomber et qui, dans leur sacrifice, restent sans doute un peu trop oubliés.
Le petit caporal du 1er Zouaves de Marche, peut comme Napoléon, le petit caporal de la grande Armée, redire après lui :
« C’est la Volonté, le Caractère, l’Application et l’Audace qui m’ont fait ce que je suis ».
Après cet émouvant hommage, M. le docteur Albert Louf, chevalier de la Légion d’honneur, titulaire de la croix de guerre 1914-18 et 1939-45, chevalier de la Santé publique procéda à la remise de la croix de chevalier de la Légion d’honneur à H.F. Delafosse, cependant que jouait la Concordia-Harmonie.
C’est au nom de toutes les sociétés patriotiques et militaires de la commune que M. Maurice Toulemonde félicita le nouveau décoré, mit en relief son inlassable dévouement au sein de l’Amical des A.C. dont il fut membre fondateur, président actif et actuellement président honoraire. Il associa à ces congratulations Mme Delafosse, qui fut la première « Madelon » de la société et aussi la première de Flandre.
«Vous avez épousé un zouave, lui dit-il, vous avez maintenant un légionnaire » et M. Maurice Toulemonde parla du dévouement du récipiendaire pour ses camarades de l’U.N.C.
En qualité de président des Mutilés de guerre, mais surtout en qualité d’ami personnel et d’enfance de M. Delafosse, M. Joseph Declercq évoqua des souvenirs communs et traduisit les sentiments de fraternelle affection de tous les amis du décoré.
Henri-France Delafosse remercia l’assemblée des marques de sympathie qui lui étaient manifestées, dit sa reconnaissance aux anciens combattants qui lui ont offert l’insigne de sa distinction, rappela le souvenir de nos glorieux morts, et fit observer à leur mémoire une minute de recueillement.
Il associa à tous ces témoignages dont il était particulièrement sensible, son épouse Marie-Antoinette née Danset, dont il évoqua tout le dévouement et les qualités de mère de famille.
La Médaille Militaire
à MM. Henri Deblauw et Henri Duhamel.
Lors de cette cérémonie officielle, M. Joseph Declercq retraça la carrière militaire de MM Henri Deblauw et Henri Duhamel anciens combattants de 14-18.
Après avoir fait l’éloge de ses deux camarades et rappelé leur valeureuse conduite militaire, Henri-France-Delafosse épingla lui-même sur la poitrine des deux Halluinois, la Médaille Militaire, cependant que la Concordia-Harmonie exécutait « La Marseillaise ».
Ce fut enfin au tour de M. Antoine Delesalle, président de la section halluinoise des Evadés de guerre de remettre la médaille des évadés à M. Joseph Goerlandt.
Les nouveaux décorés reçurent fleurs et cadeaux de leurs familles et amis, et un vin d’honneur fut servi.
(Archives personnelles D.D.).