Publication relative à l'histoire de la ville d'Halluin 59250. Regard sur le passé et le présent.
En février 1991, débutaient les travaux de démolition de l’ancien couvent de la Sagesse, pour faire place à une résidence de douze appartements baptisée « Résidence Sainte-Marie » et d’un Centre Pastoral.
Sous les coups des pelleteuses, c’était près d’un siècle et demi de l’histoire halluinoise qui était en train de disparaître. C’est cette chronique que Mademoiselle Jeanne Saint-Venant de l’association « A la recherche du passé d’Halluin » nous retrace ci-dessous :
C’est en 1847 que la commune d’Halluin reçut en héritage de Mademoiselle Ursule Dumortier un terrain sans aucune charge dans l’actuelle rue Gustave Desmettre.
L’usufruit de ce terrain était attribué à M. l’Abbé Pierre-François Bliecq, curé de la paroisse Saint-Hilaire, et à sa sœur.
Le conseil municipal accepta cette donation le 27 avril 1847, et l’abbé Bliecq fit aussitôt construire une école de filles, dont il confia la direction aux Filles de la Sagesse, une congrégation basée à Saint-Laurent sur Sèvres.
Trois sœurs furent envoyées à Halluin, et elles commençèrent à enseigner le 14 octobre 1847 : quel exploit, pour l’époque de construire en six mois les bâtiments d’une école !
L’année suivante, Sœur Alibert, supérieure, demanda au conseil municipal halluinois de la reconnaître comme institutrice communale. Les élus accédèrent à cette demande en novembre 1848, et votèrent un traitement annuel de … 400 F.
Nous nous retrouvons en 1858 : Sœur Alibert annonce l’ouverture d’un pensionnat primaire, avec trois sœurs comme adjointes pour cinquante élèves supplémentaires.
La même année, l’Abbé Bliecq construisit une salle d’asile sur le terrain contigu, et en 1876, le curé fit don à la commune de tous les bâtiments qu’il avait fait édifier.
Entre-temps, le nombre des sœurs avait augmenté à plusieurs reprises : en 1859, le conseil municipal avait voté une somme de 500 F pour le traitement d’une sœur, « à condition que les enfants des ouvriers soient admis gratuitement dans cette école ».
Et en 1890, la commune allouait un traitement à six sœurs pour les classes primaires, à trois sœurs pour l’asile et à une sœur pour la classe d’adultes.
En 1903, les deux écoles de filles (l’une place de l’Eglise et l’autre au Mont) tenues par les Sœurs de la Sagesse comptaient près de 1.200 élèves ! A l’époque le couvent de la Sagesse abritait une trentaine de sœurs.
Mais en construisant l’école, l’Abbé Bliecq concevait l’espoir d’y joindre par la suite un hospice, tenu également par les Sœurs de la Sagesse.
Il réalisa son projet en 1849, grâce à une souscription qui rapporta 7.000 F : le curé céda une portion de terrain autour du presbytère, et c’est à l’emplacement des n° 54 et 56, accolé au couvent de la Sagesse, que fut construit cet hospice pour une quarantaine de vieillards des deux sexes.
Le 2 juillet 1850 eut lieu l’inauguration de l’hospice-hôpital pris en charge par douze sœurs.
En 1913, elles seront dix-huit et doivent s’occuper des orphelines de 2 à 21 ans. Une formation très poussée en couture et broderie est assurée dans un ouvroir : costumes de procession, bannières, linge d’autel et confection de leurs vêtements.
En 1917, en même temps que la population, une évacuation générale des sœurs et des orphelines, des pensionnaires et malades de l’hospice-hôpital sur Halle et Strombek-Bever est ordonné par les Allemands.
A leur retour vers 1919, elles organiseront un atelier de piqûrage, un finissage de couvre-lits.
Plusieurs années après, on assista à la création d’une Ecole ménagère familiale, dirigée par Sœur Ange,… « Que n’ont-elles déployé de trésors d’imagination, ces sœurs, avec les monitrices d’Ames vaillantes, pour organiser chaque année des colonies qui emmenaient des centaines de fillettes dans tous les endroits de France et de Navarre ?
Epoque inoubliable pour toutes celles qui les ont vécues… », raconte Mademoiselle Saint-Venant avec une pointe d’amertume.
N’oublions pas non plus le centre de soins, où quelques sœurs exerçaient leur profession d’infirmières.
Un dispensaire fut même créé au Colbras, où Sœur Renée, Sœur Alice et tant d’autres se sont succédées.
La prolongation de la scolarité mis fin à l’Ecole ménagère. Mais nombreux sont ceux qui se souviennent des générations de jeunes filles qui apprirent pendant trois ans d’études la cuisine, la couture, la décoration,… Dans ces locaux, des cours professionnels furent donnés pendant quelques années, avant d’intégrer les classes du Sacré-Cœur.
Et parallèlement à la diminution des activités, le nombre des Sœurs de la Sagesse baissait lui aussi régulièrement.
Les bâtiments devinrent de plus en plus vétustes, difficiles à chauffer, et les sœurs se replièrent finalement dans une maison de la rue Joseph Hentgès, au numéro 32, tandis que les plus âgées quittèrent la ville.
Le centre de soins lui-même fut transféré dans d’autres locaux, et finalement, les bâtiments de la rue Gustave Desmettre furent utilisés, pendant dix ans, que pour la collecte des médicaments pour la Pologne.
En hiver 1991, le couvent de la Sagesse était rayé de la carte halluinoise. Seuls restèrent sœur Gabrielle-Marie, infirmière (10 ans de présence), et deux autres sœurs, sœur Suzanne et sœur Thérèse (toutes deux à Halluin depuis 8 mois).
Toutes trois quittent définitivement la ville au mois d’août 1993, avec un petit pincement au cœur…
Bien sûr, on peut regretter que tout un pan de l’histoire halluinoise s’écroule avec les bâtiments du couvent de la Sagesse. Mais l’essentiel n’est-il pas qu’ils aient pu, pendant près d’un siècle et demi servir toutes les causes utiles à la population.
Pour ces 146 ans de dévouement et de présence discrète mais efficace au service des Halluinois, un vibrant et solennel hommage a été rendu aux sœurs de la Sagesse, le dimanche 25 juillet 1993 à 11 H.
En juillet 1993, lors d’un entretien avec une journaliste, sœur Gabrielle Marie, la dernière à quitter notre commune, se confiait ainsi :
Quand on lui demande si elle est triste de quitter Halluin, et de laisser derrière elle une longue histoire de présence des sœurs de la Sagesse, sœur Gabrielle-Marie répond simplement que :
« C’est ça la vie religieuse. On est amenées à changer de ville , de région. On ne travaille pas toujours avec les mêmes gens. Selon les besoins, nos possibilités aussi, nous sommes amenées à changer souvent d’endroits. Malgré tout, cela fait quelque chose. Nous sommes des humains vous savez. Alors, partir comme ça après onze années passées à Halluin, c’est un peu difficile, c’est vrai ».
A cette date, Sœur Gabrielle-Marie partait pour Lille, ce qui lui permettait de garder de nombreux contacts avec les paroissiens et tous les amis halluinois. Elle rajoutait : « Je reviendrai avec la fraternité des malades ».
D’autant plus qu’elle avait déjà passé de son temps, donné de son amour et de sa patience à Halluin.
« J’ai passé trois ans à l’époque où l’ancien couvent existait. Puis une autre fois, je suis revenue six mois » explique cette dame du Nord avec une voix très douce. C’était l’époque du patronage, des colonies de vacances et de l’école ménagère.
« Mais je n’ai pas passé autant de temps à Halluin que d’autres sœurs. Tout le monde connaissait sœur Ange par exemple ».
Sœur Gabrielle-Marie n’avait pas hésité à s’impliquer également dans la vie de la paroisse. « Avec les deux autres religieuses qui étaient là, je rendais visite au malades ».
Mais quand vous la faites parler de sa mission, sœur Gabrielle-Marie, préfère dire qu’elle a travaillé avec d’autres, notamment pour les discussions organisées pour « Islam Chrétien ». Des réunions qui après la guerre du Golfe ont fait se réunir des personnes de confessions différentes.
« Pour pouvoir échanger, pour avoir moins de préjugés en se connaissant davantage ».
Ainsi, des femmes catholiques et musulmanes passaient souvent des après-midis à boire le thé et à parler. Des mois qui ont transformé les préjugés. Il y avait aussi les envois pour la Pologne.
Sœur Gabrielle-Marie va partir, et la maison que les trois sœurs de la Sagesse louaient rue Joseph Hentgès ne verra pas arriver d’autres sœurs.
« Beaucoup de gens sont un peu surpris. Mais voyez-vous, les vocations se font rare. Maintenant, il y a très peu de vocations en Europe. Ce qui n’est pas le cas dans le Tiers-Monde. Mais en France, plus tellement. Alors c’est inévitable… ».
Sœur Suzanne qui quitta Halluin, en même temps, après huit mois de présence, avait aussi passées plusieurs années auparavant, de 1946 à 1960, à l’école ménagère :
: «C’est sûr, je laisse des gens que j’aimais beaucoup. Mais c’est là le lot de tous les personnes qui travaillent et qui sont mutées du jour au lendemain loin de chez eux et de leur famille… ».
Elle a bien conscience d’avoir eu beaucoup de chance jusqu’alors, puisqu’elle n’a jamais été appelée à accomplir sa mission ailleurs que dans son Nord natal. Jusqu’à cette date d’août 1993. C’est dans une autre région qu’elle continuera à vivra sa foi :
« Aujourd’hui, les gens ne savent plus qui ils sont. A nous de leur rappeler qu’il existe « autre chose… ».
« Nous sommes des consacrées appelées à vivre au milieu du monde. Notre mission est d’agir sur le terrain, près des croyants. Même si gagner notre vie n’est bien sûr pas notre vocation première, qui reste avant tout spirituelle… ».
(Archives et synthèse Daniel Delafosse).