Publication relative à l'histoire de la ville d'Halluin 59250. Regard sur le passé et le présent.
Il y eut « Bagdad Café », « Hôtel du Nord, « Le Bar du Téléphone ». L’enseigne du café de l’Union, rue Guynemer à Halluin, brillera peut-être désormais au panthéon des lieux cultes du cinéma.
Les projecteurs se sont posés à côté des billards du café de l’Union. Chez Maurice et Ginette Buttenaere, les habitués ont bousculé leurs habitudes pour céder, bien volontiers, un peu de leur territoire à une équipe de cinéastes. Jeudi 24, Vendredi 25 et Samedi 26 Septembre 1992, Edwin Baily tourne deux séquences de son premier film « Faut-il aimer Mathilde ? » sur le thème de l’identité d’une femme à travers ses amours.
Le tournage a commencé le 7 septembre et se terminera le 24 octobre 1992. Les « gens du coin » reconnaîtront des lieux à Armentières, Tourcoing, Loos en Gohelle… le Centre Hospitalier de Lille, l’usine P.J.T. de Linselles et jusqu’à Sangatte, pour l’ambiance chabadabada sans doute…
Ambiance plateau de tournage, attente, talkie-Walkie en bandoulière, projecteurs et silence complet dans les rues Guynemer et Henri Ghesquière d’Halluin. Derrière la vitre du café, l’équipe du tournage met en scène quelques scènes. Le réalisateur Edwin Baily qui, comme son nom ne l’indique pas, est originaire de Calais ;
Défense d’approcher, défense de parler, c’est à l’intérieur que cela se passe. Entre deux prises, la porte s’ouvre. Le temps de se faufiler à l’intérieur, et nous voilà au milieu d’un beau remue-ménage. Parmi les câbles, au milieu d’une pagaille organisée, Jean Bréhat, producteur de la nouvelle génération, sans bedaine ni cigare parle avec passion de son dernier « bébé en devenir ».
« Il s’agit de son premier film, explique-t-il et j’avoue que, même si Edwin est mon ami, son scénario m’a particulièrement séduit. Le scénario ? Plutôt un climat, une certaine atmosphère. C’est pourquoi les décors, les « visages » du Nord prennent tant d’importance.
C’est l’histoire de Mathilde, une jeune femme mariée mère de deux enfants. Un accident, et sa vie bascule. Elle retrouve son passé à travers un ancien ami espagnol avec qui elle vivra une grande histoire d’amour contrarié ».
Le metteur en scène n’a pas choisi le Nord simplement parce que c’est sa région : « Le Nord, c’est un des plus beaux décors qui existent. C’est un paysage émotionnel très fort… Un paysage où on est passé et repassé, où il y a des traces… Vous filmez des maisons, ça parle… Partout, il y a des traces ».
Qu’on ne compte pas sur lui pour nous resservir les incontournables clichés sur le misérabilisme et l’industrie en déroute. « Faut-il aimer Mathilde ? » est ainsi « tout le contraire de Germinal ». Amitiés à Claude Berri. « C’est un film très coloré. Pas un film ouvriériste, ni un film triste… ».
Mais le Nord a une histoire, un accent… autant de choses qui font que les gens d’ici ne ressemblent à personne d’autre.
« Le Nord a une vraie culture. Il a un point de vue à défendre (…) Le déclin de l’industrie a forgé une solidarité forte. Ce qui reste, c’est l’humain ». Edwin Baily cite pour exemple l’accueil rencontré dans chacune des villes où s’est déroulé le tournage… avec un coup de cœur pour les tenanciers du café de l’Union : « Maurice et Ginette sont des gens adorables ».
Le producteur ajoute : « C’était dans notre contrat avec l’une de nos sources de financement, le CCRAV : faire participer un maximum de gens du Nord au film, qu’il s’agisse de la régie de la décoration, et bien sûr des comédiens. Jacques Bonnafé, parce qu’il a tout particulièrement apprécié le scénario, a accepté de tourner quelques scènes »…
Les gens du Nord, nous les connaissons bien : en 1990, nous sommes venus tourner à Roubaix « Cheb ». Et c’est vrai que nulle part ailleurs nous n’avons bénéficié d’un accueil aussi chaleureux, spontané » continue-t-il. Et de fait : la montagne de « matos » de la régie a trouvé refuge dans le salon de Mme Lagae, dans la rue Guynemer.
« Mon petit-fils est caméraman à la Gaumont, et mon fils, aujourd’hui disparu, a lui aussi fait carrière dans le cinéma. Alors vous comprenez… On comprend. L’autre fils de Mme Lagae a lui aussi prêté la « salle du bas », envahie par une quinzaine de figurants, venus d’Halluin, Tourcoing et les environs. « Ca change, on voit les coulisses d’un tournage, et puis cela fait plaisir » confessent-ils dans un large sourire.
Au générique
Dans la distribution, on trouve effectivement Jacques Bonnafé dont on se rappelle le regard impertinent et plein de tendresse qu’il avait porté sur la région dans « Paris-Nord ». Les Halluinois reconnaîtront également Florence Masure qui avait joué dans « Citron vert » de Jean-Claude Giraudon, présenté lors du festival de théâtre du « Fil et la Guinde ».
Dominique Blanc incarne Mathilde « tout simplement parce qu’elle est une merveilleuse comédienne. Elle est magnifique. C’est la vraie Mathilde »… explique Edwin Baily. On a vu l’actrice française cette année dans « L’Affût » de Yannick Bellon et dans « Indochine » en compagnie de Catherine Deneuve. Elle fut surtout la partenaire de Michel Piccoli et Miou-Miou dans « Milou en Mai » de Louis Malle.
Tête d’affiche, également, Paul Crauchet qui a participé à une centaine de films pour le cinéma et la télévision et fut le partenaire inoubliable de Lino Ventura, Paul Meurisse, Simone Signoret et Serge Reggiani dans « L’armée des ombres » de Jean-Pierre Melville.
Reconnu encore hier matin, rue Guynemer, par les curieux : André Marcon que l’on a vu récemment à la télévision aux côtés d’Annie Girardot et qui jouait dans « Le grand bleu » de Luc Besson… Et puis aussi Marc Duret, Maxime Leroux…
Les autres n’auront droit qu’à une ligne au générique, remerciant en quelques mots l’ensemble des figurants. C’est le jeu…
Aurore Machado est l’une des trois cents personnes qui ont été sélectionnées par Serge de Closets (fils de François le journaliste télé) lors d’un casting à Tourcoing au mois d’août. Employée au service personnel de la mairie d’Halluin, elle s’est retrouvée là par hasard, alors qu’elle souhaitait inscrire ses enfants et s’est prise au jeu avec un peu de trac et beaucoup de plaisir.
Notre halluinoise a découvert, hier, les trésors de patience et de rigueur nécessaires pour quelques minutes de film. Convoquée des 8 h. elle a été appelée en début d’après-midi pour jouer le rôle d’un consommateur au café de l’Union. Elle doit apparaître dans la scène où Mathilde venue boire un verre avec ses copines à la sortie de l’usine, échange les premiers regards avec l’un de ses soupirants…
A l’écran comme à la ville
M. Maurice Buttenaere n’en revient pas encore. Voici deux mois, l’équipe du film est venue en repérage dans son petit café de la rue Guynemer. Pas de doute, le bar et ses trophées, les chaises en bois, les tables en formica, le carrelage, la lumière pâle, les tables de billard… « L’Union » était parfaite pour tourner quelques scènes « clefs » du film. Atmosphère, atmosphère…
Et pourquoi pas faire jouer au propriétaire son propre rôle ? Pourquoi pas, en effet rétorque du tac au tac M. Buttenaere. Deux mois plus tard, silence, action, on tourne.
« Cela fait une drôle d’impression, confie-t-il entre deux scènes, cela n’ arrive pas tous les jours. J’avais peur au début, mais on répète dix fois la même scène. La première fois, on hésite, puis cela va de mieux en mieux, et on ne pense plus à la caméra…
Et notre cafetier de découvrir les coulisses de l’exploit : « C’est fou ce qu’on attend. Et puis on voit que le metteur en scène prend son temps, réfléchit bien à chaque détail…
Egalement responsable du Twirling club M. Buttenaere a mis à contribution ces demoiselles ravies transformées pour l’occasion en majorettes, mêlées à quelques comédiennes qui font irruption dans le café.
Ce matin, l’équipe est partie, les choses reprennent leur place. « Vous ne voyez pas dans quel état ils ont mis mon café, lance-t-il en forme de boutade, il n’était pas question le soir de bouger d’un pouce une table, une chaise ou un verre. Et pas question non plus de vider les cendriers : raccord d’image oblige…
Les choses ont donc repris leur place. Et Maurice Buttenaere est un peu triste…
La sortie du film est prévue, après la longue et passionnante étape du montage vers le mois d’avril 1993. Peut-être mai. Tiens, juste pour la sélection des films au festival de Cannes…
« On espère, on verra bien » reconnaît le (co)producteur. Halluin à Cannes… On en meurt d’impatience.
(Archives et synthèse Daniel Delafosse, septembre 1992).
LIENS : Un cinéphile halluinois sur les écrans du Festival de Cannes 1993.
Le Festival de Cannes... En 1992, sur la Croisette, un Halluinois fou de cinéma.