Publication relative à l'histoire de la ville d'Halluin 59250. Regard sur le passé et le présent.
Le directeur de Triselec d’Haluin sera nommé, cette année, chevalier de la Légion d'honneur. Une belle reconnaissance et une fierté pour Patrick Vandamme qui a toujours prôné l'humanisme et la solidarité au sein de son entreprise.
« La Légion d'honneur ? Vous me l'apprenez ! » Autant dire que Patrick Vandamme était surpris lorsque nous l'avons contacté pour recueillir sa réaction après que le Journal officiel ait publié son nom parmi la promotion du Nouvel an de l'Ordre national de la Légion d'honneur. « Je suis surpris, ému de cette reconnaissance ».
C'est pourtant loin d'être une finalité pour le directeur de Triselec, humaniste convaincu et reconnu. Ce serait plutôt un jouissif pied de nez à ceux qui n'avaient pas cru à son projet : concilier dans une même entreprise le caractère économique et le caractère social. « On me disait qu'on pouvait faire soit l'un soit l'autre. »
Pourtant depuis 1994, deux ans après sa création, Triselec relève avec brio les défis environnementaux, économiques, et sociaux. Environnementaux avec sa capacité de traitement et de valorisation de 60 000 tonnes de déchets par an. Économiques : avec un chiffre d'affaires croissant d'année en année, soit 3,2 millions d'euros en 2009. Sociaux : le moteur de Triselec, avec en ligne de mire l'insertion et la lutte contre l'exclusion.
Chaque année, 170 personnes sont embauchées (via des contrats d'avenir, des missions intérim, ou des CDD) et suivies dans leur parcours d'insertion. « Les personnes ne sont pas sélectionnées. Si elles veulent parler de leur passé, on en discute. Mais je ne leur demande rien, le seul critère, validé par le Pôle emploi, c'est d'être chômeur de longue durée ».
Pas d'étiquette ici. Qu'il soit ancien détenu, ancien alcoolique, drogué, illettré, chaque opérateur est accueilli et investi parmi les chevilles ouvrières de l'usine. Pour celui qui veut tourner une page d'une vie marquée par les difficultés et les accidents de parcours, Patrick Vandamme a toujours sa porte ouverte.
« Ce qui est important c'est la mise en confiance et la mise en responsabilité des personnes. On est dans un projet volontariste. Si on a un gars qui est alcoolique et prêt à faire une cure de désintoxication. Je lui dis : "Fais-le. Reviens après, on garde ta place" ».
Depuis 1994, 3 000 personnes ont bénéficié de ce dispositif de réinsertion, 60 % d'entre elles ont trouvé du travail par la suite.
Pour Patrick Vandamme, l'usine est avant tout une entreprise d'hommes, de femmes. « Sans les opérateurs, je ne suis rien. Quand je suis absent l'usine tourne. S'ils ne sont pas là, je ne peux rien faire ». Une évidence qui sans va sans dire mais rappelle à chacun des travailleurs de l'usine qu'il est au coeur de la réussite de Triselec.
Culture des possibles
Parmi les autres chevaux de bataille de Patrick Vandamme : la lutte contre l'illettrisme. En 1998, il a oeuvré au sein de Triselec pour la mise en place des formations ouvertes à distance en visioconférence. « Nous avons 20 % d'illettrés mais on leur dit "vous ne savez pas lire ? Ce n'est pas un problème" ».
Ainsi le multimédia, pour l'apprentissage de la lecture, sont un outil fondamental pour le directeur de Triselec. Parce qu'il réduit la fracture numérique, qu'il ne requiert pas de préalables et que les résultats sont concrets. « C'est un moyen moderne et ça motive les gens. Un mec qui est motivé, il produit, sinon il salope le travail. »
Cette culture des possibles, « il n'y pas de cas impossibles », Patrick Vandamme l'a dans les tripes. Et dans le coeur, c'est l'image d'un père, parti trop tôt (il avait 15 ans) qui l'oriente. « Il nous a appris à nous débrouiller en prenant les autres en considération », confie-t-il avec émotion. Déterminante aussi la présence, depuis 24 ans, de sa compagne Nathalie, qui le soutient et avec qui il partage ses idéaux de solidarité, d'humanité, de liberté, de courage.
Reste pour ce chevalier en devenir à trouver le parrain qui lui remettra la médaille. « J'ai trois personnes en tête. Bertrand Schwartz (inspirateur des Missions locales), Albert Jacquard (scientifique et philosophe) et Yves Coppens (paléontologiste et paléoanthropologue français).
(Archives, N.E., 10/1/2010).
Rien ne prédestinait Patrick Vandamme, 60 ans, cadet d'une famille roncquoise de six enfants à recevoir la rosette de la Légion d'honneur si ce n'est une jeunesse perturbée et rebelle qui lui a forgé un caractère exceptionnel.
« Je ne suis jamais battu d'avance tant que je n'ai pas étudié toutes les possibilités ». Cette récompense va droit au coeur de Patrick : « Moi, un homme de gauche, je suis récompensé par un gouvernement de droite, Je ne refuse pas cette distinction, je la mérite. »
Dans son bureau de TRISELEC, un portrait de Che Guevara est là pour lui rappeler de temps en temps ses devoirs : « J'ai lu dans une de ses biographies qu'après les combats le Che prenait le temps d'apprendre à lire à ses compagnons de lutte. » La lutte et la souffrance, Patrick Vandamme les a côtoyées le 30 novembre 1978 dans une boucherie tourquennoise lorsqu'un grand hachoir lui happe la main droite.
« Je pense que c'était une première greffe de la main en France. De cet accident, j'ai eu le désir de contribuer à la création d'une structure semblable dans le Nord, ce sera SOS Mains à Lesquin. » Ensuite, il reprend ses études en passant à 45 ans un DESS économie solidaire et développement local qui le conduit en 1989 chez TRISELEC.
Une rencontre avec André Gabet lui ouvre de nouveaux horizons, avec l'ouverture à Dunkerque du premier centre de tri en Europe. Il le rejoint en 1990. La grande aventure halluinoise débute en 1994 :
« En collaboration avec les services sociaux de la ville et les associations, j'embauche sans aucune sélection et crée le plus gros centre de tri en France avec 60 000 tonnes de déchets traités. Le personnel de production est issu de quinze à vingt nationalités différentes présentes dans les usines, des salariés qui ne maîtrisent pas forcément le français, 12 % d'illettrés français et 6 % d'analphabètes. » Patrick Vandamme et son équipe mettent en place un dispositif de formation accessible à ces personnes sans aucune exclusion.
TRISELEC se tourne ensuite vers les personnes sortants de prison dans le cadre d'un accord avec la maison d'arrêt de Lille. « Nous sommes un des seuls organismes qui propose systématiquement une offre d'emploi à la sortie des formations prison. Le taux de récidive est passé de 52 % à 12 % pour près de deux cents personnes passées par cette filière ».
Ce n'est pas l'incendie de l'outil de travail en 2008 qui lui fera baisser les bras, bien au contraire : « Il n'y a eu aucune perturbation dans le ramassage des déchets, ni chômage ni licenciement. Tout le personnel a conservé son emploi. »
Par ailleurs, Patrick Vandamme est également président du SIMUP Vallée de la Lys, de la SCI à caractère social Ravel, un club d'investisseurs Cigalys et d'une société de partage salarial...
Cette distinction il l'adresse en priorité à son père agent de maîtrise dans le textile, personnage généreux et indépendant revendiquant avec force son attachement à la République et créateur de la JOC à Roncq. Elle sera également partagée avec son épouse Nathalie et ses cinq enfants « qui partagent mes valeurs » et applaudi par plus de trois milles personnes à qui Patrick Vandamme à rendu leur dignité et leur fierté.
(Archives, VdN, 29/1/2010).
De la maison de correction à la Légion d’honneur
Il n'y avait plus d'étiquette politique, plus de convictions différentes... Il n'y avait plus que le credo de l'humanisme. Mardi 15 juin 2010, Patrick Vandamme a été promu chevalier de la Légion d'honneur devant plusieurs centaines de personnes et devant un grand homme : Albert Jacquard.
Lorsque le célèbre généticien, à petits pas, a franchi le seuil de la salle Catry, mardi soir, les bruissements de la foule se sont tus. Patrick Vandamme, qui avait demandé sans y croire la présence du scientifique, avait la gorge serrée. Albert Jacquard, humaniste, était venu décorer l'un des siens.
Sans se connaître, les deux hommes partagent les mêmes combats : contre l'indignité, contre la pauvreté, contre les prisons... « En tant que généticien, je veux réagir contre une idée toute faite : l'homme ne naît pas mauvais. » Preuve en est du parcours de Patrick Vandamme.
Né à Roncq, ses premiers faits d'armes le mènent en maison de correction. Il en sera exclu : « Avec cette mention, on ne peut plus rien faire pour lui. » Patrick Vandamme est au seuil de l'adolescence et déjà son avenir semble compromis.
Albert Jacquard aurait déjà pu dire qu'il faut se méfier des idées reçues... Le premier déclic vient du service militaire. Patrick Vandamme refuse de manier les armes, il est envoyé en prison de Loos... pour donner des cours d'illettrisme aux détenus. Le début de nombreux combats. Le jeune salarié s'engage comme syndicaliste, comme acteur de l'économie solidaire. « Il aime l'homme et croit en lui », a rappelé le maire de Roncq, Vincent Ledoux.
Patrick Vandamme n'a eu de cesse de le prouver. Il fonde Immo Ravel, pour permettre aux plus démunis de se loger, Réactif pour enrayer le chômage, Cigalys pour encourager la création d'entreprises il s'investit dans la médecine du travail... Aujourd'hui, il est le visage de Trisélec à Halluin.
« Trisélec est le laboratoire de son humanisme en action. Il valorise la matière, les poubelles de notre société de consommation, comme il élève l'homme à une dignité qu'on ne lui reconnaissait plus. » Et dans ce même Trisélec, celui qui fut à la tête du groupement de patrons Val de Lys Entreprendre, rappelle parfois à ses cadres les valeurs d'humanisme.
Mais Patrick Vandamme sait aussi faire des blessures personnelles des combats. À 29 ans, un grave accident lui sectionne des doigts. Il est le premier greffé doigt par doigt en France et contribue à la création de SOS Mains. Dans le cadre d'un divorce, il est l'un des premiers pères en France à obtenir la garde de ses trois enfants.
Patrick Vandamme n'en fait pas un étendard. Il regarde toujours plus loin. « Sa source, ce sont les autres. Il bâtit une vie de coopération et non de lutte. Nous sommes actuellement dans une société qui dit qu'il faut lutter les uns contre les autres. Mais il faut avant tout lutter contre soi-même avec les autres. On a besoin d'émulation et non de compétition », a salué Albert Jacquard, devant un Patrick Vandamme très ému.
Dans une salle Catry, dont il avait brisé les vitres petit, Patrick Vandamme a reçu sa décoration. Il a alors eu une pensée pour l'enfant qu'il fut, sur l'énergie débordante qui était et est toujours en lui. « Et je vous dirais : ne jugez pas trop vite les enfants hyperactifs... » Ils peuvent devenir des adultes généreux.
(Archives, VdN, 19/6/2010).