Récit de Roland Verkindère Historien Local
Du 2 au 6 septembre 1944, le territoire communal est libéré de la présence ennemie, et bientôt la rue de Lille voit passer les troupes anglaises. Halluin, Roncq, Bousbecque, Tourcoing, Menin… se délivrent d’une oppression éprouvante.
Certes la joie partagée n’est pas sans mélanges : les combats libérateurs ont fait des victimes, des prisonniers et des déportés sont encore sous le joug, l’ennemi lui-même n’est pas anéanti.
Il faudra attendre le 8 mai 1945 pour obtenir la capitulation. Mais cette année-là se dessine une ère nouvelle, fruit de l’union née progressivement dans la Résistance sous toutes ses formes, nourrie de l’intervention des alliés.Halluin, à cette date, se met à l’heure anglaise, au chocolat et aux Player’s. Notre ville goûte cette embellie.
Le changement de gestion municipale s’est fait sans heurt apparent. La délégation spéciale mise en place en 1939 après la dissolution du conseil municipal et le nouveau conseil municipal nommé par le gouvernement de Vichy et l’Etat français en 1943 ont laissé place à une délégation municipale pluraliste représentant toutes les sensibilités patriotiques locales.
Elle émane largement du comité local de Libération. Celui-ci, constitué dans la clandestinité dès le second semestre 1943, apparaît publiquement à l’ancienne mairie, rue de l’Eglise, en septembre 1944. Il comporte notamment des hommes comme Gustave Casier, Charles Dereus, Gérard Verkindère, Albert Myngers. André Verkindère remplacera ce dernier dans la délégation municipale, Albert Myngers ayant été nommé au Comité départemental de Libération, aux côtés notamment de André Deprétère et Alfred Simono..
A noter, par ailleurs, que pendant toute cette période 1939-1944, Stéphane Dubled, secrétaire général de mairie et Edouard Penasse, receveur municipal, tous deux proches de la municipalité d’avant 1939, ont assuré leurs tâches de gestion et tenu administrativement la mairie.
A la Noël 1944, la délégation municipale prend une délibération pour proposer solennellement de nouvelles dénominations à un certains nombres de rues halluinoises. Il s’agit d’honorer nos martyrs. C’est à partir de cette date que nous appelons rue Marthe Nollet l’ancienne rue de la Gare, rue Maurice Simono, l’ancienne rue du Midi, rue Arthur Dennetière l’ancien chemin de la Grande Ville, rue de la Libération, l’ancienne rue du Moulin.
Souhaitons que ces noms évoquent longtemps encore la mémoire de celles et ceux qui ont su se sacrifier pour notre liberté, ont été ainsi arrachés à l’affection des leurs, victimes de ces temps de révolte.
Dans le procès-verbal de cette séance figure également un vœu présenté par le conseiller municipal Henri-France Delafosse. Il est adopté à l’unanimité. Il présente un vaste plan de réalisations municipales et sociales aussi urgentes qu’indispensables, aptes à répondre aux attentes de toute la population.
Sont nécessaires, compte tenu de l’importance d’Halluin à cette époque (14 000 habitants) : une justice de paix, un notaire, un huissier, un bureau d’enregistrement, des bâtiments municipaux moins vétustes et plus vastes, des bureaux de bienfaisance et de chômage plus accueillants, une caisse d’épargne et un bureau de poste adaptés aux besoins, une clinique chirurgicale, une maternité, un service radiologique, un établissement hospitalier, une salle de réunion et une salle des fêtes, des moyens de transports rapides avec Tourcoing, des maisons ouvrières à bon marché pour mettre fin aux taudis, une école primaire supérieure pour l’éducation et la formation du plus grand nombre.
Vaste programme pour lequel l’aide de l’Etat est sollicité avec d’autant plus de raison qu’en 30 ans (de 1914 à 1944) Halluin a été occupée plus de dix années, connaissant de ce fait un retard considérable d’investissements collectifs dont nous souffrons encore aujourd’hui.
Il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle pour le mener à bien. En partie seulement. Car il reste à faire. Mais début 1945 le diagnostic est lucide, la volonté affichée.
Des élections municipales exceptionnelles
Pour les citoyens, l’un des actes forts de ce début d’année 1945, ce sont les élections municipales exceptionnelles. C’est la première fois depuis 1936 que le corps électoral est appelé à s’exprimer dans les urnes. Prévues d’abord en février 1945, ces élections municipales sont reportées en avril de la même année.
La constitution des listes électorales n’est pas une mince affaire. Car il y a une innovation fondamentale ; les femmes pour la première fois dans l’histoire française sont à la fois électrices et éligibles.
Le verrou mis depuis trente ans par la majorité du Sénat vient enfin de sauter. C’est la volonté de De Gaulle mais dans la préparation de cette décision à Alger, Fernand Grenier, qui fut dans les années trente employé municipal à Halluin, n’est pas resté inactif.
A Halluin, deux listes sont en présence : la liste d’Union patriotique républicaine et antifasciste ; animée par le Parti communiste, le Front national, les Forces unies de la jeunesse patriotique et la CGT avec notamment Gustave Casier en tête de liste, Charles Dereus (ne pas confondre avec le docteur Charles Dereu), Madame Deceuninck née Jacques Simone.
La liste des candidats du Mouvement républicain populaire où se retrouvent, entre autres, Julien Alard, le docteur Albert Louf, Adrien Verkindère, Gérard Verkindère et Madame Edouard Lemaitre née Duprez Elisabeth comme Célina Vuylstecke, commerçante.
Le Mouvement républicain populaire est un nouveau venu. Né à la Libération de la fusion du parti démocrate populaire d’avant-guerre et de la Jeunesse république, puissante à Halluin, il veut afficher, à la fois sa fidélité aux valeurs de la Résistance, ses sentiments gaullistes et une certaine sensibilité sociale autour d’équipes ouvrières.
Maurice Schumann en devient le président. On le retrouve bientôt candidat aux législatives dans la dixième circonscription. Jusqu’en 1973, sa présence comme député de la vallée de la lys sera constante.
En avril 1945 à Halluin, un seul tour suffit. Il n’y a pas à cette date de candidats de la SFIO. La liste menée par Gustave Casier, l’emporte de près de huit cents voix et gagne tous les sièges, sans présence d’une opposition au sein du conseil..
Cette situation locale, héritage peut-être d’Halluin-la-Rouge, ne doit pas masquer l’expérience nationale du tripartisme (MRP, SFIO, PC) qui, quelques mois, autour du Général de Gaulle, avec des ministres communistes, dont Maurice Thorez, va tenter de dynamiser la reconstruction de la France à la sortie de la guerre.
Localement des difficultés persistent
Certes, elles sont d’un tout autre ordre que celles liées à l’occupation, mais elles sont germes de division et de mécontentement. Des préoccupations demeurent : problèmes de ravitaillement alors que la Belgique toute proche attire avec son pain blanc, ses bas nylons, ses textiles plus disponibles.
Les aides aux absents sont aussi à organiser : on passe du colis des prisonniers au pécule du déporté, les réserves des familles plus démunies étant depuis longtemps épuisées. Une autre demande est spécifique : des prêts aux mariages nécessaires pour les plus jeunes qui souhaitent se mettre en ménage et n’ont pu, dans une économie de guerre, réaliser aucune épargne.
Des sujets de discorde aussi, vécus comme des signes d’un nouveau sectarisme : refus de la municipalité communiste de maintenir des formes de subventions aux écoles privées. Et chez tous, compte tenu du faible niveau de vie de la majorité ouvrière, des revendications de salaires.
La génération des libérateurs locaux très active en 1944, est éparpillée : engagement dans l’armée ou les forces républicaines car le pays n’est pas encore entièrement libéré. C’est le retour des prisonniers et de déportés qui domine.
Avec la fin de la guerre, la vie se relance : relance économique, relance sociale, relance associative. On peut sortir de nouveau, fêter le 14 juillet 1945. Les Aiglons y prennent toute leur part. Les bals se multiplient. Paradoxe : on élit Miss « Réfractaire » dans une salle du Manège devenue salle des fêtes, mais sans piste de danse qui viendra plus tard, après avoir fait raboter des poutres de récupération par une entreprise halluinoise de la rue Gustave Desmettre.
La préoccupation majeure, c’est la reconstruction, le renouveau. Mais pas n’importe quoi. Ainsi s’élève une protestation massive relayée par la municipalité contre l’implantation d’une usine polluante au « caoutchouc » près du vieux moulin, et d’une cité de maisons neuves en location dans les cartons du Comité interprofessionnel du logement (CIL). La vie se réorganise autour d’une volonté partagée d’améliorer les conditions de vie et le cadre de vie : sécurité sociale, assurance chômage, logement un peu plus de confort ménager. C’est bien parti.
Dès 1947, une nouvelle élection municipale va faire bouger la bonne sortie de la guerre. Une mutation est en cours. La population d’Halluin connaîtra-t-elle l’alternance et un nouvel élan pour un développement plus moderne ? Rendez-vous en 1955 !
(Archives, La vie chez Nous, 2006 ).
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