Ouvert en centre-ville d'Halluin depuis plus de vingt ans, le tabac Le Sincero va bientôt disparaître. Dans un contexte commercial de plus en plus difficile pour les buralistes, Maria Blandin jette l'éponge.
Le Sincero, rue Marthe-Nollet, vit ses derniers jours. Le 30 septembre 2009, Maria Blandin baissera définitivement le rideau de fer de ce tabac qu'elle tient depuis tout juste neuf ans.
Ce n'est pas exactement le scénario qu'elle avait imaginé en septembre 2000, quand elle a repris l'enseigne. « À l'époque, je pensais m'installer ici pour sept ans, avant de céder et de prendre plus gros », confie l'ancienne gérante d'une station-service de Tourcoing. Mais l'arrivée de l'euro, suivie des hausses successives du prix du tabac auront eu raison de ce commerce situé à quelques centaines de mètres seulement de la frontière belge.
« Une claque »
« Mon mari et moi avons toujours travaillé à deux. Quand on a repris ici, c'était pour avoir quelque chose à nous. Nous sommes passés de 6 h - 22 h, 365 jours par an à la station-service, à 7 h-19 h avec les dimanches en prime. C'était beaucoup mieux ! » D'autant que même si une civette représentait alors un lourd investissement, l'affaire s'annonçait très rentable.
« Le prix du tabac entre la France et la Belgique était le même à l'époque, reprend Maria. On savait que l'euro arrivait, mais on avait confiance : on croyait que ça allait évoluer de la même façon pour tous. » Mais en 2002, l'État français renforce sa lutte contre le tabagisme : les prix grimpent... mais pas chez nos voisins belges vers qui se tourne la clientèle. « Nous nous sommes pris une claque », résume celle qui voit son chiffre d'affaires s'évaporer.
Un an plus tard, le couple se sépare de son unique salarié. Le bras de fer entre l'État et le Syndicat des buralistes conduit à un « contrat d'avenir », entraînant une compensation de la baisse du chiffre d'affaires sur le tabac (calculée sur la base de 2002).
Vente de bonbons, boissons, cadeaux, glaces, relais colis... les époux s'orientent vers une diversification pour améliorer leur marge. Ils renégocient leurs prêts. « En 2006, le bilan s'est stabilisé. Nous avons alors décidé de céder. Mais même avec un bilan correct, toutes les personnes intéressées fuyaient dès que l'on mentionnait Halluin et la frontière. »
Deux ans plus tard, face à la nouvelle hausse du tabac de 2008, l'époux de Maria quitte la civette « pour un emploi plus sûr à Transpole ». Et aujourd'hui, c'est le commerce tout entier qui s'éteint. Personne ne s'est porté acquéreur, mais la licence et le stock de tabac ont été rachetés par le service des Douanes : un dispositif d'indemnisation soumis à conditions et qui leur a été accordé vu la proximité de la Belgique.
« J'ai profité de la fin du bail. Je n'ai plus la force de me battre, termine Maria, déçue de terminer ainsi. Moralement et physiquement, je ne tiens plus, lâche celle qui recherche un nouvel emploi. Mais je pars sans dette, avec ma fierté. C'est juste dommage que tout l'investissement auprès de ma clientèle se perde ainsi. »
Le loto et le relais colis seront transférés au Mag Presse voisin.
(Archives, VdN, 6/9/2009).
Dès le 14 septembre 2009, rue Marthe Nollet, le Sincero qui fermera à la fin du mois ne vendra plus de tabac. La presse sera transférée au café La détente située en face, le loto et les services divers (relais colis, etc) au Mag Presse. Est-il encore possible de vendre du tabac à Halluin ?
Âgée de 44 ans et maman de deux enfants, Maria Blandin, la patronne du Sincéro, fermera sans éprouver de remords, tout au moins sur le plan commercial. Et ce ne sera pas faute de clientèle avec de 300 à 500 clients/jour pour le Loto (jusqu'à 1000 clients pour les gros tirages) et 300 clients pour le reste (tabac, timbres, relais colis, etc). Mais les charges sont devenues insupportables après notamment l'investissement de 400 000 euros consenti à la reprise de l'activité en 2000.
Pourtant, cette nouvelle aventure avait bien démarré pour Maria Blandin et son mari. Pendant 10 ans, elle avait été gérante de diverses stations services.
Elle a été la dernière à assurer la gestion encore humaine de la station Esso à Tourcoing, à l'entrée du Grand Boulevard, face au pont hydraulique. Avant sa mise en fonctionnement automatique.
« On a alors recherché une civette pour nous installer à notre compte et on a cru aux espoirs européens », raconte-t-elle, « je pensais que les tarifs seraient les mêmes dans toute l'Europe ». En 8 jours de temps, en septembre 2000, le fonds de commerce du Sincéro avait été vendu quand c'est devenu mission impossible aujourd'hui.
« L'euro est arrivé, on avait embauché un salarié et le chiffre d'affaires avait progressé d'au moins 20 % en 2 ans », se souvient-elle, Portugaise et europhile dans l'âme. Et puis, pour renforcer la lutte contre le tabagisme, l'Etat décrète à ce moment-là une forte hausse du tabac dont allait profiter pleinement la Belgique située à quelques centaines de mètres. « Cela a constitué la première grosse claque, j'ai perdu 80 % de mon chiffre d'affaires sur le tabac, on a eu du mal à résister, deux ans après mon arrivée je licenciais mon employé ».
Et si elle a tenu le choc dans cette tourmente haussière des prix du tabac, c'est grâce aux aides financières versées par l'Etat suite au combat mené au forceps par le syndicat des buralistes. « Mon mari a commencé à chercher un emploi ailleurs et il a été embauché par Transpole comme chauffeur de bus », reprend-elle, « et j'ai repris une employée à tiers temps pour ne pas devoir assumer le travail 6 jours sur 7, de 7 h 30 à 19 h. »
Fatiguée, à bout moralement malgré des bilans corrects, Maria a fini par décider de vendre son fonds de commerce il y a 3 ans. « J'avais des contacts mais dès que je parlais d'Halluin, les gens fuyaient ». Finalement, elle tente un coup de poker en avril dernier, déboussolée par les hausses successives des prix du tabac.
« Avec le syndicat des buralistes, l'Etat avait décidé de racheter des débitants de tabac sous certaines conditions, j'ai rempli un dossier et, miracle, il a été accepté en juin dernier après enquête », souligne-t-elle dans un souffle d'apaisement.
Les douanes vont donc supprimer la « carotte » du Sincéro, jusque-là fièrement accrochée au mur de façade. Le stock de tabac sera racheté par le service des douanes. « J'aurais pu continuer avec le reste des activités mais cela aurait supposé de repartir pour un bail de 9 ans et je ne peux le supporter, c'est trop long. »
Ce samedi sera le dernier jour de vente du tabac au Sincero et dès lundi, on le trouvera en face, à La détente. Et à la fin du mois, le temps que le Mag Presse de la rue Marthe Nollet soit doté d'une machine, le loto rejoindra ce dernier comme les autres services (relais colis, timbres, etc).
« Je pars sans dettes mais il ne reste rien de tout ce que j'avais investi pour l'avenir de mes enfants », déplore Maria, « le mois prochain, je serai sans emploi et je ne toucherai même pas les Assedic puisque j'étais responsable de mon activité. Avec la nouvelle hausse de 6 % du tabac, je n'ai plus de remords, je suis même soulagée de ne pas devoir la subir. C'est ma clientèle que je regretterai » , termine-t-elle.
Ce commerce en deviendra un autre, à l'activité très éloignée de la vente du tabac. « La reprise est en bonne voie ». Il restera à Maria à se reconstruire un autre avenir professionnel.
(Archives, N.E., 11/9/2009).
Pour la petite histoire :
"Le débit de tabac du centre ville d’Halluin existe depuis le début des années 1900. Il fut très longtemps situé à l’emplacement actuel du café « Le Longchamp » rue Marthe Nollet. Ce premier débit de tabac halluinois fut tenu par mon grand-père Nicolas Delafosse". (D.D.).
Lien : Les Buralistes Halluinois au 13 H de TF1, ce 7 Septembre 2009. (Vidéo).
La reconversion de Maria du Sincero.
Pendant dix ans, elle a été le visage de la civette du centre-ville d'Halluin. Aujourd'hui, Maria Blandin a tiré un trait définitif sur sa vie au Sincero. Depuis six mois, elle conduit les bus de Transpole. Histoire d'une reconversion réussie.
(Archives, VdN, 12/3/2011).
Lien : http://www.lavoixaufeminin.fr/actualites/portraits/2011/03/12/article_maria-du-sincero-reconvertie-en-conductr.shtml.