Publication relative à l'histoire de la ville d'Halluin 59250. Regard sur le passé et le présent.
(1) L’abbé Michel Beddelem homme d’exception
et résistant de l’ombre…
Au matin du vendredi 1er septembre 1944, le responsable du patronage l’abbé Michel Beddelem congédie les enfants, un peu avant l’heure, après leur avoir appris en sourdine « La Marseillaise. »
Il leur promet la Libération pour le dimanche, et leur recommande de ne pas sortir de leur maison pendant les jours suivants, parce que dit-il : « Vous pourrez me chercher vous ne me trouverez pas, je ne bougerais pas. »
L’abbé Beddelem originaire de Boeschèpe où il est né le 2 0ctobre 1908, fut ordonné prêtre en 1935. Nommé vicaire à Halluin, il y resta jusqu’en 1945.
Au lendemain des évènements dramatiques du samedi 2 septembre 1944, les cloches sonnent pour convier les gens à la messe comme d’habitude de 6 h 30 ! Quelques rares halluinois, venant des endroits où rien ne s’est produit la veille, y assistent.
Entouré des enfants de chœur Jean et Paul Delafosse, ainsi que deux assistants Jacques Delafosse et Maurice Vandewoestyne, l’abbé Beddelem célèbre l’office. A cette heure précise, rien ne se produit dehors, un calme relatif s’est installé.
Les halluinois se souviennent bien de ce prêtre dynamique et populaire, c’était un fonceur, et il en donna la preuve particulièrement devant l’occupation allemande.
Il fut tout naturellement résistant et s’évertua à fournir du ravitaillement à de nombreuses familles.
Aussi, envers et contre tout, l’abbé Beddelem organisa durant l’été 1942, 1943 et 1945 les colonies de vacances au Mont-Noir, dans une habitation qui appartenait à un halluinois Raymond Defretin et où, pour l’anecdote, l’Académicienne Marguerite Yourcenar a passé sa jeunesse, juste à côté.
La renommée de l’abbé était telle, que près de trois cents jeunes halluinois se répartissaient de juillet à septembre, dans ce cadre régional devenu, depuis célèbre. Le prêtre halluinois était responsable non seulement de la bonne marche des séjours, mais aussi de l’intendance. Il n’hésitait pas à parcourir les fermes environnantes pour nourrir le mieux possible les jeunes colons.
Ennemi du conformisme, on le voyait partout fumant sa pipe légendaire. Mais encore, le Cercle Saint-Joseph bénéficia particulièrement de son dévouement, et les anciens se plaisent à rappeler, comme pour les colonies, le succès exceptionnel que connut le cercle durant son séjour à Halluin.
En 1946, l’abbé Beddelem fut nommé vicaire à Hondschoote et en 1952, il devint curé du Mont-des-Cats. Cet homme d’exception qui marqua à jamais de son empreinte la vie halluinoise, devait décéder dans sa paroisse Sainte-Constance au Mont-des-Cats, où ses funérailles ont été célébrées le 4 mars 1971 en la chapelle de l’Abbaye.
Daniel DELAFOSSE
(Archives Daniel Delafosse).
(2) Le vicaire devenu Evêque, Archevêque
Primat des gaules, Cardinal et Académicien !
Natif de Wattignies (Nord) en 1920, le nordiste Albert Decourtray est décédé le 16 septembre 1994 à Lyon, des suites d'un accident vasculaire cérébral, il avait 71 ans.
Sa famille est venue en 1938 habiter Seclin qui devint alors son port d'attache. Lors de sa communion privée, vers l’âge de 7 ans, il avait affirmé vouloir devenir prêtre. Après le petit séminaire d’Haubourdin et le grand séminaire de Lille, Albert Decourtray fut ordonné prêtre le 29 juin 1947.
Avec un halluinois l’abbé Emile Cornil, le nouveau prêtre partage des années d’études et d’enseignement, notamment à Rome, où ils font ensemble leurs études bibliques durant deux ans en 1949 et 1950. Ensemble aussi, ils devinrent professeurs au grand séminaire de Lille, l’un professeur de théologie, l’autre de la Bible.
Autre lieu, comme l’abbé Cornil halluinois d’origine, il sera nommé vicaire à Halluin en 1951 durant un an.
La paroisse Saint-Hilaire est alors l’une des plus vivantes du diocèse et près de 5000 personnes assistaient chaque semaine aux offices. Le vicaire Decourtray âgé de 28 ans, qui parlait déjà inlassablement dans les réunions des mouvements de jeunesse catholique, de l’Action catholique, était aussi l’aumônier d’une école de filles mais tenait beaucoup à être présent dans les familles touchées par la maladie ou la mort d’un proche.
Les anciens halluinois se souviennent de lui comme d’un homme attentif aux autres, toujours souriant et charmant.
En 1956, devenu directeur du grand séminaire de Lille, Albert Decourtray reviendra à Halluin, pour la consécration de l’église Saint-Hilaire, à l’occasion de son centenaire.
Vicaire général du diocèse de Lille, il devint archidiacre de Roubaix-Tourcoing. « C’est son contact avec les petites gens à Seclin, Halluin, Roubaix qui lui a permis de devenir évêque » disait de lui son ami l’abbé Germain Dequae. Effectivement, il recevra la mitre dans la cathédrale de Lille le 3 juillet 1971.
C’est à cette époque qu’il quitta le Nord pour rejoindre l’évêché de Dijon. Son attachement à ses racines nordistes ne s’était toutefois jamais démenti.
Il sera nommé archevêque de Lyon et primat des Gaules en 1981, vice-président de la conférence épiscopale la même année (il y restera jusqu’en 1987) puis accède au Cardinalat en 1985 sur décision du pape Jean-Paul II.
C’est en octobre 1986, que l’ancien halluinois recevra Sa Sainteté, lors de sa visite en France et notamment à Lyon.
Monseigneur Decourtray fuyait la « langue de bois » souvent chère à la hiérarchie catholique.
Et lors de ses passages télévisés à « L’heure de vérité » ou à la radio, il pulvérise les records de l’audimat.
Le Cardinal Decourtray a écrit trois livres. Son préféré « Vingt-deux entretiens avec Raymond Sève » (édition du Centurion 1986) dans lequel, notamment, il raconte son passage à Halluin avec beaucoup d’enthousiasme « J’étais passionné » disait-il.
Quant aux deux autres livres « Une voix dans la rumeur du monde » et « un évêque et Dieu » il soulignait lui-même qu’il s’agissait de simples recueils d’interviews.
La maladie déjà, l’avait frappé au milieu des années 1980, quand un cancer des cordes vocales l’avait contraint au silence pendant plusieurs mois.
Premier cardinal depuis Jean Daniélou à être admis sous la célèbre Coupole du quai Conti, parmi les « Immortels », il avait été reçu à l’Académie française le 10 mars 1994, succédant au fauteuil du Professeur de Médecine Jean Hamburger (Père du chanteur Michel Berger).
Pour la petite histoire, enfant, l’académicien et historien Alain Decaux, son cadet de deux ans, vivait aussi à Wattignies.
Lors de cette réception à l’Académie, Maurice Schumann, sénateur du Nord, avait évoqué l’exigence de vérité et de justice du cardinal qui était un adepte du parler-franc comme il le montra dans l’affaire Touvier et par son engagement contre le racisme. Citant Massillon, Maurice Schumann avait souligné : « Il a introduit un sentiment plus vif et plus présent des passions humaines dans le discours religieux ».
Il est vrai, que Le cardinal dérangeait par ses prises de position. C’était un homme d’Eglise au cœur du monde, qui ne craignait pas de heurter tous azimuts en défendant les immigrés et les « taulards » ou en condamnant la contraception, l’avortement et l’usage du préservatif. Albert Decourtray approuve aussi la guerre du Golfe et justifie le procès de Klaus Barbie.
L’ancien halluinois jouera notamment un rôle déterminant dans le procès de l’ancien chef de la milice lyonnaise Paul Touvier, en ouvrant les archives du diocèse à une commission d’historiens ; il approuvera leur travail et la conclusion de l’historien René Rémond sur l’attitude des catholiques et de certains évêques en tête, vis-à-vis de Touvier. C’est alors le scandale chez les traditionalistes.
En 1988 lors d’un entretien, et à la question : « Malraux a dit le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas », Monseigneur Decourtray répondait : « Je suis absolument certain désormais, après avoir douté de la validité de la phrase de Malraux, que cela se réalisera. Le XXIe siècle a déjà commencé. Je vois surgir le renouveau religieux partout… et il concluait « le tout est de savoir si ce sera une religion sauvage, une religion séculariste, une religion du progrès, ou la véritable religion qui fait le bonheur de l’homme. Ma question est surtout là. Vraie religion ou fausse religion ? Mais de toute façon, religion ».
La ville de Seclin a honoré sa mémoire, en 2007, en donnant son nom au parvis de la collégiale, désormais appelé Parvis cardinal Albert-Decourtray. De même, la paroisse de Seclin-Attiches a apposé une plaque dans la collégiale, en sa mémoire, puis baptisé la maison paroissiale Centre pastoral cardinal Albert-Decourtray.
La vie du cardinal fait l'objet d'un livre en 2010, aux Editions Desclée de Brouwer ; écrit par le père Jean-Luc Garin, qui fut curé de Seclin de 2004 à 2010, et un Seclinois Gérard Hugot : "Petite vie du cardinal Decourtray".
(Archives et Synthèse, D.D., Presse).
(3) L’Abbé Joseph Blomme
ou le souvenir d’un curé de campagne.
L’abbé Joseph Blomme a pris sa retraite en 1987 à l’âge de 76 ans. Il fut surtout le dernier curé ayant effectué le plus long passage au sein de la paroisse du Mont d’Halluin de 1961 à 1978 (l’abbé Wante lui succédant, fut le dernier prêtre attitré jusqu’en 1990).
L’ancien halluinois est né en 1911 du côté des bateaux, des dunes ; des mouettes et du vent qui cingle.
En juin 1939, les canons ne tonnaient pas encore, mais déjà dans l’atmosphère, comme un peur d’air faux-jeton. C’est dans ce climat malsain, que l’abbé Blomme a enfilé sa première soutane.
Mais les affrontements sont arrivés, et le gaullisme affiché par l’abbé Blomme n’était pas du goût de tous. A Marseille, le Fort Saint Nicolas servait à régler ce genre de petits problèmes.
Libéré provisoirement, l’abbé Blomme a été prié par son juge d’instruction d’envoyer sa nouvelle adresse. Mais plus tard ! Des juges comme ça, il n’y en avait pas beaucoup. C’était la guerre.
Au début, l’abbé avait la foi baladeuse et le sacerdoce remuant, il se retrouva « curé Tzigane », avec ceux qu’on avait tant poursuivi pendant les années de boucherie organisée par le sinistre imprécateur.
Par la suite, il devint professeur à Tourcoing au collège du Sacré-Cœur, il a assuré un intérim de… 20 ans dans une école de Froyennes en Belgique. Entre autres points de chute. C’est la mort de son père qui l’a freiné. Il a voulu devenir curé de paroisse pour avoir sa mère avec lui.
Arrivé dans la commune frontalière, il s’est posé 18 ans au Mont d’Halluin : « Un endroit exceptionnel où j’étais en communion parfaite avec les gens ».
En écho à son propos, voici une réaction venue du Mont d’Halluin : « Monsieur le curé, c’était la gentillesse même. A toute heure, chacun était le bienvenu, accueilli avec le sourire et l’assurance d’être écouté par un homme soucieux de l’autre ».
En 1978, il s’en est allé à Tourcoing, pour aider le doyen de Saint-Christophe. Et c’est en 1987 qu’il s’est retiré à Sanary, ce port situé près de Toulon.
Ce jour de septembre 1977, Sanary a beaucoup gagné. Le Nord à l’inverse a beaucoup perdu.
Il a perdu l’homme qui ne croit pas au hasard « Dieu me suffit ». L’homme qui a été « scandalisé atrocement » par l’attitude d’une partie de l’Eglise et des chrétiens pendant la guerre.« Ils parlaient du génie d’Hitler ».
Aussi, l’homme qui, un jour, a célébré la messe, avec un flic des Renseignements Généraux, flingue dans la ceinture, à ses côtés. Le policier avait été enfant de chœur… L’homme qui ne connaît pas la peur, « même pendant la guerre. C’est seulement après coup. J’aurais pu mourir en héros, sans le savoir. »
C’est également l’homme à qui on a proposé « des choses, des tas. Même la cathédrale. Je suis allé voir Monseigneur Gand, il m’a compris. Je ne veux pas devenir un personnage, être une personne me suffit »
En 1989, il fêta, à Tourcoing, le 50ème anniversaire de son ordination.
Après 62 ans de prêtrise, c’est à Bonsecours, près de Rouen, que l’abbé Joseph Blomme s’est éteint, le 26 mai 2001, à 89 ans.
(Archives et Synthèse D.D., Presse).