Publication relative à l'histoire de la ville d'Halluin 59250. Regard sur le passé et le présent.
Publiées par l’historienne Christiane Rimbaud qui l’aidait dans sa tâche.
Homme d’action, Maurice Schumann n’avait jamais manifesté beaucoup d’empressement à écrire ses mémoires. Tout au plus acceptait-il de temps à autre, d’écrire des pages de souvenirs, d’une grande qualité, relatant une vie bien remplie d’évènements qui ont fiat l’Histoire.
On ne savait pas que, deux ans avant sa mort, l’Académicien s’était mis à la tâche. Il n’a pu la mener à son terme. La voix de la France Libre s’est tue le 10 Février 1998, laissant l’œuvre inachevée.
L’historienne, spécialiste de la période contemporaine qui collaborait à ce travail, a voulu en éditer l’essentiel. Ce n’est pas une biographie qu’a réalisée Christiane Rimbaud, aux Editions Odile Jacob, avec ce « Maurice Schumann, sa voix, son visage », mais un livre de la fidélité où un grand nombre de pages sont de la main même de l’ancien ministre des Affaires étrangères.
« Le pressentiment que le temps lui serait compté l’avait incité à me confier l’essentiel de ce qu’il souhaitait relater, à partir de ses écrits, ses archives, les nombreux entretiens que nous avons eus », affirme l’auteur.
Ce livre est donc celui que M. Schumann aurait pu, aurait dû écrire lui-même. Le texte a d’ailleurs reçu l’accord de son épouse Lucie. On en retiendra les « bonnes feuilles » qui constituent parfois des révélations, afin de donner l’envie de lire l’ouvrage en entier.
« Maurice » s’appelait Jacques
Une étonnante anecdote d’abord sur la naissance même du grand homme. Celui que tout le monde, dans le cercle des intimes appelait « Maurice » se prénommait en fait officiellement « Jacques ».
Son grand-père, le Docteur Maurice Michel, médecin à Namur, est mort alors que l’enfant venait au monde. On cacha la triste nouvelle à l’accouchée. Lorsqu’elle l’apprit, elle voulut changer le nom de son fils… l’état-civil resta intraitable. Voilà pourquoi les électeurs de Comines faisant leur devoir électoral en même temps que leur illustre concitoyen eurent la surprise de découvrir « Schuman Jacques, dit Maurice »…
Ses parents étaient des parisiens aisés d’origine alsacienne juive avec un grand-père artisan joaillier dans le Marais et un père dans le textile - un des centres d’intérêt du futur élu du Nord – spécialisé dans la fabrication de corsets qu’il commercialise dans une boutique de haute couture.
Ce père est l’un des fondateurs de la synagogue de la rue Copernic, construite par l’Union Libérale israélite, un mouvement très patriote. L’office se déroule le dimanche et non le samedi. Il se récite en français et non en hébreu. Sa mère n’est pas religieuse, elle tient de son père, le médecin de Namur, un attachement au radicalisme et à la libre pensée.
Comment Maurice Schumann deviendra-t-il, dès l’avant-guerre, l’intellectuel et le journaliste catholique écrivant dans « Sept », la revue des Dominicains puis dans « Temps Présent » ?
Il y a d’abord l’influence d’une vieille institutrice « ultra-catholique et très à droite » qui l’emmène, tout enfant, avec elle dans les églises. Il aime l’atmosphère de ces lieux. Plus tard il va fréquenter assidûment la Conférence de Saint-Vincent de Paul du lycée Jeanson de Sailly. Il lit Begson, rencontre Simone Weil – des spiritualités proches de la sienne – Les dominicains deviennent ses maîtres à penser.
Il voit aussi le père Brodeur, son confident qui le baptisera le 2 mai 1942, à 31 ans à Birmingham dans l’oratoire privé du Cardinal Newman. Maurice Schumann écrira plus tard :
« Je n’avais pas du tout le sentiment d’une conversion mais d’un accomplissement ».
Adhérent à la SFIO et familier de Blum
Et le jeune journaliste de l’Agence Havas, atteint par la spiritualité, est de gauche. Schumann adhère à une section parisienne de la SFIO, y fait la connaissance de la future femme de Léon Blum (en seconde noce).
Elle lui présente le leader socialiste dont il devient un familier. On dit qu’il est un peu son « oreille » à l’agence Havas, l’ancêtre de l’AFP ;
Dès son embauche à l’Agence, Maurice Schumann avait déjà reçu la mission d’être l’informateur privilégié du Ministère des Affaires Etrangères. A la demande de l’entourage de Pierre Laval, il rédigera ainsi un rapport sur la première entrevue d’Anthony Eden avec Staline.
En poste à Londres, le jeune journaliste avait suivi le ministre britannique lors de sa visite à Moscou. Il y prévoira le risque de pacte germano-soviétique.
En 1935, de retour à Paris, il adhère à la Jeune République, un mouvement catholique de gauche. Maurice Schumann défilera dans les cortèges du Front Populaire. Ses relations avec Léon Blum en font un agent de liaison discret entre l’Evêché et le gouvernement de Front Populaire. Il obtient pour « Sept » la première interview que donne Blum comme chef de gouvernement.
Celui-ci évoque la possibilité d’un rapprochement entre socialistes et catholiques et cite les encycliques sociales du Pape.
Le jeune journaliste est même choisi pour entreprendre une mission discrète de « bons offices » entre le successeur de Blum , le très anticlérical Camille Chautemps, et le futur Pape Pie XII qui venir inaugurer la Basilique de Lisieux.
Tout se passera le mieux du monde… Déjà, on sent poindre le futur chef de la Diplomatie française !
« Il avait commencé à écrire depuis deux ans »…
Spécialiste de l’histoire contemporaine, l’écrivain et historienne Christiane Rimbaud a déjà publié de nombreux ouvrages sur Pierre Mendès France, Pierre Bérégovoy, Antoine Pinay. C’est aussi une grande experte sur la guerre de 39-45, période sur laquelle elle a écrit :
« l’aventure du Massilia ». L’histoire de ce bateau qui emmena des hommes politiques français en Afrique du Nord, va sans doute être portée à l’écran.
Christiane Rimbaud : « Maurice Schumann avait commencé la publication de ses mémoires deux ans avant son décès, mais reculait toujours un peu l’échéance. Il ne voulait pas que cela soit considéré comme un point final à sa vie. Il m’a demandé de l’aider, de lui préparer ses archives et des documents, comme je l’avais déjà fait jadis pour son « 18 Juin ».
Lors de notre dernière rencontre, un mois avant sa disparition, il m’avait dit : « C’est vous qui ferez ce livre ». J’ai voulu être fidèle et donner la priorité à ses textes, des pages admirablement écrites. Je les ai restituées dans leur contexte historique. Ce n’est donc pas une biographie… elle reste à faire.
Des textes inédits existent notamment sur ses parents, sa vieille institutrice, ses premières réactions d’enfant. Nous avons eu parfois bien des problèmes pour déchiffrer son écriture. Il a fallu demander de l’aide à son ancienne assistante.
Dans ses interventions à la BBC, il a évoqué une fois ou deux le génocide des juifs, notamment à l’été 1942. On ne savait pas alors l’ampleur et la volonté nazi d’accomplir le génocide.
Si Maurice Schumann a été baptisé si tard (en 1942 à Londres) c’est parce qu’il ne voulait pas faire de la peine à son père qui était juif. S’il avait su ce qui se passait vraiment, je suis convaincue qu’il se serait battu. C’était un homme entier. Par ailleurs, il n’était pas seul à décider du contenu de ses émissions. Il y avait un petit groupe qui dissertait et les Anglais avaient aussi leur mot à dire.
Les pères dominicains, dirigeants de la revue « Sept » où écrivait Maurice Schuman,n ont été surpris eux-mêmes qu’il n’était pas baptisé, avant-guerre. Le Révérend Père Carré ne voulait pas le croire disant « ça alors… ». Mais j’ai bien obtenu confirmation auprès de Mme Schumann. Son mari a été baptisé dans l’oratoire privé de l’évêque catholique de Londres en 1942 ; Mais au fond de lui-même, il était chrétien depuis longtemps.
Concernant «L‘affaire Dewavrin » Nous n’avons pas eu le temps de beaucoup en parler. C’était pour lui une douleur réelle. Les experts militaires m’ont dit que sa volonté de participer à ce parachutage était presque « suicidaire ». La famille n’a pas souhaité que je développe ce sujet ».
Je n’ai pas parler de l’élu du Nord, qu’il était depuis la guerre : Cela fait partie de mes regrets, nous n’avons pas eu le temps, cela laisse la place à d’autres livre ».
« Maurice Schumann, sa voix, son visage », de Christiane Rimbaud. Editions Odile Jacob.
La douloureuse « affaire » Passy-Dewavrin.
Ce livre évoque brièvement un épisode douloureux de la vie de Maurice Schumann lors des combats de la Libération. Le porte-parole de la France Libre, qui veut participer à l’action militaire, se porte volontaire pour une opération de parachutage, après la percée d’Avranches.
Il s’agit d’une mission de 50 officiers français et américains qui doivent encadrer la résistance bretonne à l’arrière des troupes allemandes. On a voulu dissuader Maurice Schumann de participer à cette opération qui demande un entraînement spécial au saut (le largage a lieu à 300 mètres du sol et de nuit).
L’homme de la BBC a une très mauvaise vue, a été réformé pour faible constitution physique, et a une grave maladie pulmonaire. Mal remis d’une blessure à la jambe lors d’un bref entraînement au saut, pris d’un malaise irrépressible à bord de l’avion, il doit renoncer et revient à l’aérodrome de départ.
Au sol, c’est le Colonel Passy-Dewavrin qui a pris le commandement. On ne l’informe pas de la défection de Schumann. On croit le porte-parole de la France Libre perdu dans la lande bretonne et on le recherche une partie de la nuit. Maurice Schumann qui avait déjà débarqué le 6 juin à Asnelles à côté d’Arromanches (où il souhaitera être enterré), reviendra quelques jours plus tard par la voie maritime pour rejoindre la 2e DB du Général Leclerc.
Une bombe
Cet incident, qui n’entâche en rien l’honneur militaire de l’homme dont les états de service sont éclatants, va être rendu public lors d’une ténébreuse affaire qui se déroule juste après le départ du général de Gaulle du pouvoir, début 1946.
Le Colonel Passy-Dewavrin, chef des services de renseignements, est accusé par le nouveau gouvernement du tripartisme (SFIO, Communistes et MRP, dont Maurice Schumann est président) d’avoir détourné les fonds secrets de la France Libre. Il est mis aux arrêts puis emprisonné…
L’affaire fait l’effet d’une bombe. Remis en liberté, Passy rend publique une lettre ouverte à Maurice Schumann, où il fait le récit du parachutage manqué. Il accuse le président du MRP d’avoir manqué de courage à ce moment-là, comme en ne prenant pas sa défense lorqu’il a été mis en accusation…
Cette querelle entre deux personnalités de premier plan de la France Libre va provoquer un émoi considérable dans l’opinion. Maurice Schumann écrit à de Gaulle, arbitre suprême, et lui propose de démissionner de toutes ses fonctions. Le Géral lui répond en substance :
« sans doute avez-vous présumé de vos forces, il n’est pas donné à tout le monde de sauter en parachute… Que cela ne vous empêche pas de poursuivre votre action… ».
Mais Maurice Schumann va porter « ce boulet » pendant toute sa carrière politique…
Quant à l’affaire Passy, elle n’a pas été entièrement élucidée. Les fonds secrets n’ont pu être connus. Certains analystes ont affirmé que Passy avait mis à l’abri des fonds qui auraient pu servir à relancer un mouvement de résistance en cas de prise de pouvoir par les communistes (une éventualité à laquelle pensait le Général de Gaulle). Mais le mystère subsiste…
Président du M.R.P. à 33 ans.
Maurice Schumann devient président du MRP, dès son congrès constitutif le 11 novembre 1944. Il n’a que 33 ans. Le Mouvement Républicain Populaire se veut alors le « parti de la fidélité à de Gaulle ».
Ses fondateurs se sentent très proches du général qui lui-même ne se trouve pas éloigné de la démocratie chrétienne (n’est-il pas le 7e abonné à « Temps Présent ? ».
Toutefois la mise au point de la nouvelle constitution va rapidement engendrer une cassure entre l’Assemblée et le général qui souhaite un gouvernement et un président de la République disposant de plus de pouvoirs.
Le 20 janvier 1946, le général s’en va : « C’est la période la plus douloureuse de ma vie publique ». affirme Maurice Schumann. Le MRP annonce pourtant aussitôt qu’il restera au gouvernement : « c’est la décision de Charles de Gaulle qui prive la France du général de Gaulle. Pour la première fois, nous sommes en désaccord avec lui », commente M. Schumann qui ajoute par ailleurs : « Notre décision n’a pas été facile à prendre, mais elle s’explique par la crainte de voir s’installer un tête-à-tête socialo-communiste, et d’aboutir à une situation de démocratie populaire ».
Le général en éprouvera un certain ressentiment. Il pense qu’un vaste mouvemzent d’opinion le ramènera très vite au pouvoir, et qu’il ne faut donc rien faire qui puisse favoriser l’installation du nouveau gouvernement.
« Notre « oui » est proche du « non »
Après un premier rejet, la Constitution est adoptée à une courte majorité, alors qu’un tiers du corps électoral s’abstient. De Gaulle préconisait fermement le « non » et pourtant juste avant le vote, M ; Schumann signe dans l’Aube un article intitulé « Les non contre de Gaulle ». Il y affirme que « le « oui » des démocrates chrétiens est en réalité très proche du « non du général et que voter « oui » c’est être fidèle au premier résistant de France ».
Le général n’apprécie pas et critique dans une lettre à son beau-frère, Jacques Vendroux, député MRP alors, la « mensongère équivoque qui fait croire qu’en votant oui alors que je dis non, on est au fond d’accord avec moi ».
Et de Gaulle écrira à Schumann : »Je ne puis attribuer aux contorsions des partis – y compris, excusez-moi le vôtre – que trop peu d’int »rêt pour en demeurer prisonnier ». Le général ajoute : « ceci n’a rien à voir avec l’estime et l’affection que j’ai pour vous et qui sont profondes ». Mais en privé, les paroles sont plus dures…
Plus tard, tout ceci sera pardonné, même si en 1947, le président du MRP affirmera « qu’il est trop gaulliste pour adhérer au RPF, mouvement qui, pour lui sera la cause du non retour du général ».
Le divorce du MRP avec de Gaulle a-t-il été un « accident de l’histoire ». Bien plus tard, Maurice Schumann adhérera au RPR et en deviendra même l’un des leaders historiques dans d’autres circonstances.
Entre temps, il a été « élu député du Nord. Il le restera 28 ans, puis 23 ans au Sénat, « Je me suis senti très rapidement chez moi dans le Nord », affirme-t-il. Mais sur notre région et de l’action que M. Schumann y a menée, cette biographie se résume à quelques lignes…
(Archives D.D., Presse).