Publication relative à l'histoire de la ville d'Halluin 59250. Regard sur le passé et le présent.
Pour Daniel Delafosse, assister au festival de Cannes muni d’une carte d’accréditation, cela faisait partie du domaine de l’impossible. Du moins, jusqu’en 1992. Car, après avoir découvert les coulisses de la cérémonie des « Césars » cette même année, le responsable de la programmation du cinéma halluinois « Le Familia » a pu enfin réaliser son rêve. Ensuite, il a pris la plume pour raconter son séjour à Cannes :
A l’occasion du 45ème festival international, Daniel Delafosse a reçu l’approbation de la commission « cinéphiles et associations » et la carte d’identité spéciale. Ce qui lui a donné la chance de connaître la sensation suprême de gravir, officiellement, les « fameuses » marches du Palais des Festivals, lors de trois soirées de gala consacrées à la projection de films sélectionnés pour la Palme d’Or 1992.
Cette première semaine passée au sein de la plus grande manifestation mondiale du cinéma (7 au 18 mai) ce passionné de cinéma qu’est Daniel Delafosse a tenu à la faire partager, en nous adressant ses impressions cannoises :
« Venir au festival et côtoyer ce monde magique du cinéma, c’est un énorme choc ! Le temps de repérer les lieux, et on embraye aussitôt avec les premières projections, les premières rencontres ou anecdotes, les premières photos.
En quelques heures, on a les yeux et la mémoire qui flanchent. On court beaucoup, on panique un peu et puis on s’enfonce et on se noie dans ce tourbillon visuel infernal, où tout ce qui compte dans le cinéma mondial se retrouve aux mêmes heures, aux mêmes endroits.
Qui plus est, le festival c’est l’euphorie : on confond tout, les films se superposent, les noms s’oublient, les rendez-vous et documentations s’accumulent, on perd la notion du temps, des gens, du monde, on disjoncte en plein dan le mythe. On est sur la Croisette au Festival, c’est tout simplement magnifique !
Dès le premier jour, tout commence par la redoutable mêlée dans le Palais des Festivals, où plusieurs milliers de journalistes, photographes, membres d’associations et cinéphiles du monde entier investissent ce haut lieu pour retirer la sacro-sainte carte d’accréditation qui autorisera l’accès à une ou plusieurs manifestations.
Il y en a des rouges, des roses, des blanches, et on a beau avoir accompli toutes les formalités, quelques semaines auparavant, lorsque l’hôtesse recherche sur l’ordinateur les coordonnés de « sa carte », on a quand même un pincement au cœur car rien n’est possible sans elle.
Ensuite on se retrouve les bras encombrés de dossiers de presse, publicités et invitations diverses.
Les premiers pas sur la Croisette vous donnent l’occasion de repérer les endroits stratégiques où se dérouleront les moments « forts » de la quinzaine. Bien sûr, il y a l’immense palais de béton surnommé « le bunker » qui, depuis 1984, voit défiler pendant quinze jours les soirées de gala avec la montée inoubliable du grand escalier. C’est assurément « l’Elysée » du cinéma, dirigé depuis plusieurs années par Pierre Viot et Gilles Jacob, respectivement président et délégué général du festival. Ce dernier voit chaque année, à travers le monde, près de trois cents films pour réunir les vingt-deux œuvres de la sélection officielle pour Cannes.
Quant aux ministères principaux où se concentrent l’activité cinématographique, ce sont les palaces de la Croisette qui ont pour nom : « Le Majestic » qui est le terrain de chasse privilégié des équipes de télévision, « Le Carlton » où s’installent les grandes compagnies de production et de distribution américaines, ainsi que « Le Martinez » qui a la préférence des délégations sud-américaines et de certaines radios et télés.
Voilà pour le festival « champagne ». Mais il y a tous les autres, les inconnus, fous de cinoche, qui se créent leurs propres itinéraires, et qui, en dehors de la sélection officielle assistent aux sélections parallèles.
Aussi « Un certain regard » accueille des films dont le festival veut, au-delà de la compétition, souligner l’intérêt. « La semaine critique » a pour but de révéler un jeune auteur, « Cinémas en France » reflète les tendances du jeune cinéma d’auteur et confirme des œuvres personnelles.
Quant à « La quinzaine des réalisateurs » c’est le point de rencontre entre les réalisateurs étrangers dont la renommée n’a pas encore dépassé les frontières de leur pays.
Chaque jour, dès 8 h 30, on peut assister aux différentes projections suivant les places disponibles et parfois après plusieurs heures d’attente. Les vacanciers encombrent joyeusement les entrées d’hôtel, armés de carnets et stylos afin d’obtenir un éventuel autographe de leur vedette ou star préférée, et jouent au paparazzi munis de leur appareil de photos à la sortie de la conférence de presse journalière.
Au total près de 3.000 journalistes et photographes professionnels forment la deuxième concentration journalistique après les jeux olympiques.
A 13 h, avec beaucoup de patience, on peut apercevoir les séances d’interviews pour les différents médias installés sur la plage du Majestic, et approcher d’un peu plus près les actrices, acteurs et metteurs en scène des films en compétition.
Le soir à partir de 19 h, c’est l’heure H. Les abords du palais sont noirs de monde. L’émotion s’intensifie au fur et à mesure que la grande famille du cinéma gravit les marches accompagnées de la musique à plein volume, et de l’annonce des arrivants par le maître de cérémonie, qui était cette année, Jean Chatel, l’animateur bien connu.
Sur les marches du palais, le jour d’ouverture, Gilles Jacob « le grand intendant » affiche un sourire de vainqueur, car les stars ont répondu présent à l’appel.
Ils sont venus, ils sont tous-là, à commencer par le président du jury « l’immense » Gérard Depardieu, que je considère personnellement comme faisant partie des trois meilleurs acteurs au monde avec Marlon Brando et Robert de Niro.
Lors de la première semaine, les marches auront été gravies par les plus grands du cinéma français : Alain Delon, Catherine Deneuve, Philippe Noiret, Michel Piccoli, Jean Carmet, Roger Hanin, Robert Hossein, Jean-Claude Brialy, Sophie Marceau, Charlotte Rampling, Vincent Perez, Marcel Carné, Maurice Pialat, Jacques Deray et du cinéma étranger : Michaël Douglas, Jean-Claude Vandamme, Tom Selleck, Julie Andrews, Victoria Abril, Whoopi Goldberg, Sharon Stone, Johnny Depp.
Et aussi par un nombre impressionnant de personnalités aussi diverses que Jacques Martin, Frédéric Dard, Régine, Eddie Barclay, Marie Laforêt, Patrick Poivre d’Arvor, Ivan Levaï, Yves Mourousi, Gérard Lenorman, Yannick Noah, Mme Danielle Mitterrand, Sylvie Vartan, Lio, Charles Aznavour, Jean-Michel Jarre, sans oublier François Chalais (l’œil éternel du festival depuis 45 ans).
Mais le plus gros succès à l’applaudimètre, il revient, incontestablement, à la super star Alain Delon, saluant les bras levés tel un boxeur, qui arriva sur la Croisette entouré d’une nuée de photographes, gardes du corps, policiers, parmi la foule immense massée devant le palais, pour la présentation du film « Le retour de Casanova », en compagnie du formidable Fabrice Luchini et de la sympathique Elsa.
Une petite anecdote : moi-même placé ce jour là au premier rang des marches, il me fut pratiquement impossible de le photographier.
Pour ma part, mon plus merveilleux souvenir du festival, ce fut les trois soirées de gala auxquelles j’ai pu participer, gravissant le grand escalier, orné du tapis rouge, en tenue de soirée obligatoire, devant les photographes en smoking, les CRS en tenue d’apparat et la foule des admirateurs et curieux.
Pour en arriver là, ce ne fut pas un mince exploit, car il faut savoir que plusieurs centaines de cinéphiles accrédités ne réussissent pas à obtenir ne serait-ce qu’une place durant la quinzaine, pour assister à la compétition officielle (deux projections par jour à 19 h 30 et 22 h 30).
Dans le grand auditorium du Palais, j’ai pu voir le film russe de Vitali Kanievski « Unie vie indépendante », le seul film espagnol en compétition « Le songe de la lumière » de Victor Erice, mais surtout le film français « Au Pays des Juliets » de Mehdi Charef, où j’ai précédé de cinq minutes toute l’équipe du film, pour la montée officielle des marches, avec les trois actrices principales : Maria Schneider (à jamais célèbre pour son rôle dans " Le dernier tango à Paris " avec Marlon Brando), Claire Nebout et Laure Duthilleul, ainsi que le producteur français Daniel Toscan du Plantier, pour s’installer ensuite dans les fauteuils réservés au Protocole ! Assurément, un moment sublime et un souvenir impérissable.
Cannes se voulait aussi, cette année, une fête des métiers du cinéma et plusieurs hommages furent rendus aux producteurs, réalisateurs, musiciens et techniciens.
J’ai pu assister notamment à un colloque organisé dans le Salon des Ambassadeurs, dont le thème était : « Acteur de cinéma, acteur de théâtre, quelle formation ? ». Le débat était présidé par le comédien Francis Huster, avec la présence de Dominique Lavanant et Roland Giraud.
Aujourd’hui Cannes est devenu la fête de tous les amoureux du cinéma au lieu de n’être que celle des cinéphiles. Mais Cannes c’est surtout des rencontres, des impressions, une atmosphère unique, car chaque soir, les visages et les émotions tourbillonnent dans la tête ; chaque jour on a l’impression de courir tout le temps, d’être partout à la fois, mais de louper tout ce qui se passe.
C’est ce qui reste au moment du départ, un ensemble d’images, des bouffées d’émotion, de passion, des photos. On vibre intensément, parfois pour des choses sans importance mais qui restent dans la mémoire comme des moments exceptionnels.
A Cannes, on ressent tout sauf de l’indifférence : c’est ça la magie du cinéma ! ».
(Archives Daniel Delafosse Mai 1992).
LIEN : Il était une fois le cinéma d'Halluin (Nord)