Publication relative à l'histoire de la ville d'Halluin 59250. Regard sur le passé et le présent.
« Il y a une histoire qui vit et qui marche avec nous. C’est à cette histoire, Monsieur le Président de la République, que vous en ajoutez un souffle, en rapprochant de Jean Moulin, immortalisé par la torture, André Malraux, dont la voix haletante ne s’est pas tue. « Le crime de la mort disait Jean Rostand, n’est pas de nous tuer, mais de conférer l’éternité à notre angoisse ». Eh bien non !
Lequel parmi nous ne sent pas, en cet instant, que la mort parce qu’elle a conféré l’éternité à son angoisse, a épargné Malraux et plus que jamais, s’avoue vaincue. Ecoutons le ! Deux philosophes, l’un Sartre, citant l’autre, Heidegger l’avaient appelé « un être pour la mort ». « Et si répliqua-t-il, au lieu de dire pour, on disait contre, ce n’est pas la même chose qu’en apparence ? »
L’apparence est aujourd’hui dissipée. Avec un « être contre la mort », c’est l’antidestin qui franchit le seuil du Panthéon. Antidestin : ce mot suffit à révéler l’unité d’une œuvre étonnamment diverse. C’est par lui et pour lui qu’a été, et que demeure, « un homme un » ce créateur dont les labeurs multiples furent comme les mouvements d’une » symphonie héroïque », scandée par trop de marches funèbres.
S’il s’obstine à déceler la puissance de l’art, et son secret, c’est pour couvrir la voix de la mort par les voix du silence. Si le romancier débusque l’héroïsme et recrute des héros, c’est pour lancer un défi à la mort. S’il découvre la fraternité, c’est pour que la mort ne soit pas la plus forte et qu’il n’y ait plus de dernière parole. Avant l’Espoir ? Avant la Condition humaine, déjà La voie royale était une route sans fin.
Autour de deux Compagnons, dont l’un éteindra l’autre dans son agonie, rôdent des flèches meurtrières. Alors retentit le cri que Malraux renouvellera à chacune des étapes « sanglantes » de son voyage sur la terre, dans la Sierra de Teruel comme dans la Cathédrale de Chartres, avec sa brigade Alsace-Lorraine, comme dans la profondeur de l’Asie : « ce n’est pas pour mourir que je pense à ma mort, c’est pour vivre ».
Dans ces dernières années, la biologie fascine l’auteur de Lazare. Ressuscité qui ne sait plus s’il revient de la tombe ou du royaume, il fait de la science un autre antidestin qui se tient à distance du mystère pour mieux le respecter. Un savant insinue-t-il qu’il pourrait y avoir plus de différence entre Claude Bernard et un minus qu’entre ce minus et un grand singe ?
Il s’attire aussitôt cette question : « le grand singe devenu ce minus ne serait-il pas bien étonné d’appartenir à l’espèce qui a inventé la tombe, l’outil et les images ? » Les privilégiés qui entendaient de Gaulle interroger Malraux et Malraux répondre à de Gaulle dans certaines délibérations moins empruntées que celles d’un Conseil des ministres, se disaient : ces deux hommes de proue se sont rejoints parce qu’ils sont voués l’un et l’autre à rendre prophétique tout ce qu’ils remuent.
Mais cela n’est jamais plus vrai que lorsque la France était en cause, et elle l’était le plus souvent. La France, sujet d’inquiétude comme toute personne sensible au cœur, Malraux prononce son nom d’une voix familière et angoissée. Il ose parfois se dire que peut-être la postérité comparera de Gaulle à Philopoemen, longtemps appelé le dernier des grecs.
Mais le garant de la condition humaine ne reconnaît pas la victoire à la résignation. Comme Victor Hugo tout proche, Malraux le romantique fut un dessinateur méticuleux que séduisaient les chats et leurs prunelles mystiques. En observant leur « rêve sans fin » sans doute pensait-il à Baudelaire : « l’Erèbe les eut pris pour ses coursiers funèbres s’ils pouvaient au servage incliner leur fierté ». A nul servage, surtout pas à celui de la France, Malraux n’inclina jamais sa fierté.
Jean Moulin l’attend parce qu’il sait comme lui que, pour donner corps à l’espoir, le monde ne peut pas se passer de la nation qui lui a offert, non la Déclaration des droits du Français mais la Charte des droits de l’Homme.
Et ces deux vivants nous demandent : que faites vous ici ce soir, si vous courez le risque d’oublier qu’on n’aime jamais assez la France pour ce qu’elle a de fragile et qu’on ne l’aime jamais trop pour ce qu’elle a d’éternel ? »
Maurice SCHUMANN
Extraits du courrier adressé le 26 Novembre 1996 à M. Maurice Schumann Ancien Ministre, Sénateur du Nord.
(…..) « Il est ainsi des cérémonies symboliques qui peuvent marquer une génération, une jeunesse souvent à la recherche d’un idéal, d’un modèle, d’un sens à leur vie.
Celle du 23 Novembre 1996, restera grandiose dans sa simplicité, son dépouillement et son recueillement. Votre hommage Monsieur le Ministre, j’en suis persuadé, aura touché la jeunesse d’aujourd’hui.
Le fameux et vibrant : « Ecoute aujourd’hui jeunesse de France… » d’André Malraux sera perpétué à jamais, dans la mémoire collective du peuple français, toutes opinions confondues, par votre conclusion non moins marquante voire bouleversante :
« Qu’on n’aime jamais assez la France pour ce qu’elle a de fragile et qu’on ne l’aime jamais trop pour ce qu’elle a d’éternel ? »
Dans l’existence de chacun, il est des femmes et des hommes qui nous arrachent les larmes des yeux pour leur modèle de conduite, de courage, de travail, de volonté et d’abnégation. Vous êtes de ceux-là ; depuis près de soixante ans votre participation aux grands évènements de notre Histoire, votre judicieuse analyse de ceux-ci et des Hommes, alliées à une culture et une écriture prodigieuses, ainsi qu’à une mémoire sans faille, font de vous, Monsieur le Ministre, l’un des derniers grands hommes français de ce 20ème siècle.
Permettez-moi de vous remercier du fond du cœur, pour tout ce que vous avez donné à la France et pour la France. » (…)
Daniel DELAFOSSE
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Réponse de M. Maurice Schumann le 28 Novembre 1996.
(…) « J’ai été profondément ému par la lecture de votre lettre. En raison des liens qui m’unissent à votre famille, aucun témoignage ne pouvait m’être plus précieux que le vôtre » (…)
(Archives originales D.D.).