Publication relative à l'histoire de la ville d'Halluin 59250. Regard sur le passé et le présent.
« J’ai eu la chance de pouvoir côtoyer et apprécier le docteur Louf ; comme la plupart des maires qui ont présidé aux destinées de la ville, il faisait partie de ces « personnages » qui ont laissé une trace indélébile dans la mémoire de plusieurs générations d’halluinois ; ils aimaient passionnément leur ville et se sont dévoués sans limite, parfois dans des périodes
exceptionnelles, cruciales et souvent douloureuses, à travers leurs différentes activités, au service d’une population toute entière.
Le 3 avril 1991, jour du centième anniversaire de sa naissance, je rendais un hommage appuyé, dans la presse, à cet homme qui a profondément marqué la vie locale :
En effet, comment ne pas rappeler ici la place considérable que le docteur Louf a tenue à Halluin, durant plus d’un demi-siècle, « sa ville qu’il connaissait sur le bout des doigts ».
Homme de bien, de devoir, c’était le médecin de famille par excellence, une profession qui pour lui était une vocation, presque un « sacerdoce ».
En janvier 1974, le journaliste Albert Desmedt résumait en ces termes, ce que fut pour beaucoup d’halluinois, le médecin, l’homme ou l’ami qui quittait Halluin en 1973, après cinquante-trois années de bons et loyaux services :
« Ce jeune homme de 83 ans droit comme un I, traversant la chaussée au pas de chasseur, sautant dans sa voiture, infatigable de jour et de nuit, brillant et pétillant d’esprit dans les conversations, tout le monde l’aura reconnu. C’est évidemment le Docteur Louf. C’est tout à la fois une personnalité et un personnage ; un homme exceptionnel de verdeur d’allant et d’enthousiasme ; il a admirablement rempli sa tâche, avec tout ce que cela suppose de travail, de difficulté et d’énergie ».
Albert Louf est né le avril 1891 à Saint-Pierrebrouck. En 1909, il entre à la faculté libre de Lille pour y poursuivre de brillantes études de médecine. Il y décroche la médaille de bronze de la faculté des sciences et de médecine.
La guerre de 1914-1918 survient et durant ces quatre années de guerre, il accomplit son devoir de soldat, là où ses connaissances médicales l’imposent, c’est-à-dire au service de santé d’une des vaillantes unités du front. Médecin major, s’il était parfois, pour certains, l’homme à la « consultation motivée », il était pour tous, dans les circonstances les plus graves, les heures les plus pénibles, le sauveur compatissant et consolateur, quand ce n’était, trop souvent hélas, l’ultime confident.
Ce rôle, il l’accomplira de 1914 à 1918 avec tout son cœur, son dévouement à toute épreuve au mépris de tous dangers, ce qui lui vaudra plusieurs citations, la Croix de Guerre, et la promotion au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire, le 31 décembre 1939.
A cette époque, il était, évidemment, devenu un véritable Halluinois d’adoption, depuis septembre 1920, date de son installation, après avoir achevé ses études à la faculté de médecine de Paris.
Une seconde fois, la patrie faisait appel à ses services en septembre 1939 ; avec quelques-uns de ses anciens camarades de la Grande Guerre, avec la multitude des nouveaux mobilisés, il répondait « présent ». Cette drôle de guerre est pour lui une période d’intense activité.
Le Commandement militaire lui ayant confié les fonctions de médecin-chef de l’hôpital de Calais, il déploie là ses grandes qualités d’organisateur, prévoyant jusqu’au plus petit détail, et faisant de ce grand établissement un hôpital modèle et moderne, appelé à remplir dans les conditions les meilleures et les plus rapides, le rôle qu’en attendait le service de santé militaire.
Les circonstances ont voulu que ce rôle soit bien éphémère. La foudroyante offensive allemande, anéantissant en quelques heures, les fruits d’un labeur de plusieurs mois, le surprit en plein travail, soignant avec un extrême dévouement les nombreux blessés, sous un effroyable bombardement.
Cette situation tragique lui valut, par la suite, une élogieuse citation et l’attribution d’une seconde Croix de guerre avec étoile d’argent.
Fait prisonnier le 26 mai 1940, il fonde à Givet un hôpital d’éclopés pour les colonnes de prisonniers de toutes nationalités, avant de devenir médecin-chef de l’hôpital de prisonniers de Charleville-Mézières.
Démobilisé fin 1940, il rentre à Halluin où durant les quatre années d’occupation ennemie, il fit face avec calme, sang-froid et dignité aux vexations de l’occupant. Plus que tout autre, témoin des conséquences de la guerre, des privations et souffrances de toute une population, son cœur généreux et son dévouement à toute épreuve ont prodigué non seulement soins matériels, mais aussi le réconfort de ses encouragements, de ses consolations et de sa foi en la victoire finale.
Eh quand pour la ville s’approche la délivrance, quand partent les premiers coups de feu de nos F.F.I, Albert Louf est là présent, redevenu le médecin militaire donnant ses soins aux blessés, sans le moindre souci de danger.
A la libération, il est président fondateur du M.R.P. d’Halluin et, à ce titre, accueille le 3 mars 1945 Maurice Schumann, porte-parole de la France Libre, au cours d’une réunion mémorable, salle du manège.
Si son rôle de médecin militaire fut très important, son activité civile ne le fut pas moins. Retenons qu’à Halluin, rien ne le laissait indifférent.
Ce fut d’abord les divers services médicaux de la ville, qui sous son impulsion et ses directives, ont pris une importance considérable : goutte de lait, consultation des nourrissons, visites médicales des indigents, des écoliers, œuvre du dispensaire etc, ont bénéficié de son inlassable et dévoué concours. Sans omettre ses études, rapports, démarches et interventions en vue de doter la ville d’une clinique maternité, espoir que des circonstances bien indépendantes de sa volonté réduisirent à néant.
Médecin de l’administration des douanes, de la gendarmerie, de la S.N.C.F., le docteur Louf est élu par ses pairs au conseil départemental de l’ordre des médecins en 1948, accomplissant la délicate fonction de trésorier. Il effectue trois mandats de six ans, en achevant sa tâche comme vice-président, parallèlement avec celle de président de la commission départementale de Sécurité sociale. Les pouvoirs publics reconnaissent ses éminents services, en lui décernant la croix de Chevalier de l’Ordre de la Santé publique.
Par décret paru au Journal Officiel du 3 janvier 1960, Albert Louf est élevé au grade d’Officier de la Légion d’Honneur.
Lors de la remise de cette distinction, c’est son fidèle ami Henri-France Delafosse, Chevalier de la Légion d’Honneur, président de l’U.N.C. et des mutilés de guerre, qui a l’insigne mission de faire l’éloge du récipiendaire, résumé en ces termes :
« Vos rapports avec notre laborieuse population, nous savons et proclamons qu’ils ont toujours été ceux d’un homme d’élite au milieu de ses concitoyens, particulièrement apprécié et estimé, d’une ardeur à tout comprendre, cherchant à tout connaître pour mieux juger, conseiller, guider, consoler. En vous toute ambition personnelle était étrangère, tandis que votre dévouement, votre cœur s’ouvraient à toutes les infortunes. Homme de grand cœur, soldat de grande bravoure, médecin de grand talent, citoyen de grande valeur, voilà votre toute dernière citation, celle que nous vous décernons, nous vos anciens camarades de combat, pour lesquels vous avez toujours été l’exemple du devoir, sous toutes ses formes, fut-il confessionnel, militaire, professionnel, familial, civique ou social, le devoir en tout, avant tout, malgré tout ».
Pour le docteur Louf, l’heure n’existait pas tant qu’il y avait quelqu’un à soulager ; quand on lui demandait le secret de son éternelle jeunesse, il souriait tout simplement. Ce qu’on peut dire c’est qu’il était un adversaire de la suralimentation et de la sédentarité ; il conseillait souvent la marche à pied, et consentait à dire, que trop souvent, on se moquait des principes, des règles de la raison, alors que celles de la nature restent intangibles, que le soleil continue de se lever à l’est, et que les lois de la pesanteur n’ont pas changé !
Pour lui la jeunesse n’était pas un stade de la vie, mais un état d’esprit ; et comment ne pas parler de l’espérance qui était en toutes circonstances sa manière d’être.
« La vie est un combat. Je l’ai maintes fois répété, dans une houle, il est parfois difficile de remonter le creux de la vague, sachez que l’espérance est la plus grande richesse de la terre ; on ne le répètera jamais assez », avait-il déclaré.
Le Docteur Albert Louf est décédé à Lille, le 19 janvier 1978. Lors de ses funérailles, l’église Saint-Hilaire contenait difficilement la foule de ceux qui l’estimaient et lui portaient affection.
Le curé-doyen Lommez évoqua la mémoire d’Albert Louf, qui fit preuve d’un courage incommensurable jusqu’à son dernier souffle.
« Ce n’est pas seulement une grande figure halluinoise qui disparaît, pas seulement un médecin exemplaire, un membre à part entière de la communauté paroissiale, mais un grand ami, un confident qui a partagé les joies et surtout nos souffrances. Un ami qui a usé sa vie jusqu’au bout au service de ses frères… Pour lui, la vie n’avait de sens que par son contenu d’amour ». Le doyen rappela alors ses dernières paroles : Je m’en vais, je vais rejoindre tous les miens ». Albert Louf a été inhumé au cimetière d’Audruicq.
Aussi, il convient d’associer à ce témoignage, son épouse aujourd’hui disparue qui, avec tant de calme et de résignation, fut toujours sa compagne discrète mais efficace, supportant les épreuves et les sacrifices, et qui permit à son mari, par ses renoncements journaliers, d’être aussi pleinement à tous.
Petite précision le docteur Albert Louf est le grand-père du docteur André Louf qui lui succéda comme médecin sur Halluin.
Daniel DELAFOSSE
(Archives et synthèse Daniel Delafosse).